Les rebelles en carton

Avec les Tartuffes du petit écran, le journaliste Luc Chatel dénonce les faux impertinents de la télévision.

Jean-Claude Renard  • 8 novembre 2012 abonné·es

En septembre, le site d’info (très à droite) Atlantico faisait le buzz en annonçant une interview exclusive de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, alors qu’il s’agissait, en réalité, d’un entretien réalisé par mail avec son homonyme, ancien rédacteur en chef de Témoignage chrétien. Pour le journaliste, la proposition d’entretien valait bien une invitation au canular. Un canular qui semblait évident à la lecture de ses réponses, ineptes et ponctuées de fausses citations. Ainsi, à la question : « N’êtes-vous pas plus proche de la Confédération des centres de Jean-Louis Borloo que de l’UMP », le journaliste répliquait : « Nous ne sommes ni plus proches ni plus loin de la Confédération des centres que de la Confédération helvétique… Les problèmes de Jean-Louis Borloo pour le moment ne sont pas les nôtres, et la réciproque me semble vraie. Posez plutôt cette question à François Bayrou. L’UMP est notre maison, notre “home sweet home”. Comme le chantait Sylvie Vartan : “Chacun chez l’autre, et c’est la foire ; chacun chez soi, voilà notre histoire.”  » Peu importe le caractère grotesque des réponses. Sans rien vérifier, Atlantico publie l’interview dans son intégralité. « Pour un site qui a pour but d’être “une plateforme d’aiguillage vers une information fiable”, rappelle le journaliste, ma plaisanterie était un peu rude. » Les réactions en chaîne condamnant cette mauvaise blague, que n’aurait pas désapprouvée Pierre Desproges, maître de l’interview désopilante, sont à l’origine de cet ouvrage : « Un type d’humour, non pas prétentieux, mais irrévérencieux, est en voie de disparition dans le paysage audiovisuel. » Un paysage empli de « provocateurs en peau de lapin », et dont les interventions intempestives répondent à des critères « détruisant toute possibilité de réelle subversion : brièveté, rapidité, mimétisme, superficialité ». Sans épargner les trublions si peu drôles chez Drucker, sur Europe 1, participant au mélange des genres, ou encore Agnès Bonfillon et sa revue de presse sur RTL, « symptomatique de l’évolution des médias généralistes qui surjouent la carte de l’humour et de la dérision jusqu’à déformer le traitement de l’information ».

Luc Chatel passe ainsi à la moulinette et au décryptage quelques personnalités du PAF, gourous de l’ infotainment, chroniqueurs, patrons de la liberté de ton. Ainsi Yann Barthès et son « Petit Journal » : « Ce qui l’intéresse, ce ne sont pas les idées, c’est la gesticulation, le spectacle. » Ainsi le « Grand Journal » de Canal +, présenté par Michel Denisot, « véhiculant une forme de complaisance mâtinée d’arrogance ». De même Laurent Ruquier, chez qui « l’intelligence des débuts a laissé place à l’indigence », dont la présence de Steevy témoigne, ou encore Thierry Ardisson, pour qui « l’audience efface l’odieux », adoubé par le service public. À propos d’Éric Zemmour, l’auteur souligne « le statut d’éditorialiste omnipotent et omniprésent », qui se présente malgré tout comme « un marginal, une victime du politiquement correct », à côté d’une Natacha Polony, son équivalent sans le veston, calée dans le « souverainisme réac’ version féminine », à côté encore d’un Franz-Olivier Giesbert « metteur en scène de confrontations bruyantes […], spectaculaire démagogue et bien-pensant, collant à son époque ».

Anecdotes et curriculum vitae nourrissent ces portraits. Mais ce n’est pas tant sur ces personnalités que renseigne Luc Chatel. C’est plutôt sur ce que ces mêmes personnalités disent des médias en général et de la télévision en particulier. Dominée par l’impératif de la rigolade, une dérision de pacotille. Où sont fêtés des « ricaneurs professionnels » qui « ne remettent en cause aucun pouvoir ni aucune valeur, mais débitent des inepties sur un ton moralisateur ou satisfait ». De faux impertinents « se proclamant à la marge du système, alors qu’ils en sont le cœur […]. On s’offusque, on vitupère, on dénonce. Et tout se termine dans la joie et la bonne humeur par une boutade qui fait consensus et qui annule toute ébauche de contestation ». C’est la garantie de rester sous les projecteurs de la télé éclairée à la pensée unique, formatée et disciplinaire. De quoi regretter, avec l’auteur, les temps de liberté et d’insolence, ceux d’un certain « Droit de réponse » de Michel Polac, disparu en août dernier.

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