Armer l’esprit – IV

Christine Tréguier  • 20 décembre 2012
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Suite et fin de cette série de chroniques autour des nourritures nécessaires avec quelques films et un dernier livre pour la route.

Pour commencer, le coffret de 9 DVD intitulé Penser Critique, Kit de survie éthique et politique (à l’usage du plus grand nombre) pour situations de crise(s), édité par la Bande Passante. Vous y trouverez 47 films-entretiens réalisés par Thomas Lacoste entre 2007 et 2010, organisés en 4 thématiques : Travail, crise et luttes sociales, Enseignement et recherche, Des hommes et des frontières et Justice et Libertés. Le dispositif est sobre : il démarre sur un oeil en noir et blanc qui s’ouvre sur les entretiens, la caméra est fixe et chaque interlocuteur est filmé en plans assez serrés, qui dans son bureau, qui en extérieur. On y entend par exemple Robert Castel évoquer les « working poors » nouvelle figure centrale du travail transformé en précariat, Etienne Balibar sur « l’ébranlement formidable des rapports hiérarchiques à l’intérieur de tous les systèmes disciplinaires » en l’occurence celui de 68 mais ce pourrait aussi être celui, toujours à l’oeuvre, suscité par internet. Bernard Lahire parle du concept fourre-tout de l’illettrisme, nouvelle stigmatisation de l’échec scolaire, Monique Chemillier-Gendreau cogne fort sur la prison sanction non-réhabilitatrice et sur les conditions de détention carcérales et Hélène Franco dénonce la justice des mineurs façon Sarkozy qui revient à des centres fermés dont l’échec est pourtant avéré. Emmanuel Terray repart aux racines de sa propre histoire et à une vie d’engagement auprès des sans-papiers et Jérome Valluy s’interroge sur la disparition de la question du droit d’asile dans les politiques migratoires européennes et sur les origines de la xénophobie gouvernementale. « Au moment où l’économie internationale est affectée par de fortes turbulences et par la généralisation de la logique dépressionnaire, et que le débat politique atteint un nouvel étiage, réduit qu’il est à la glose sur le triple A des agences de notation financière, ces films constituent bien un nécessaire de survie pour agir par mauvais temps, vents contraires et situations de crises » écrit la Bande Passante dans le livret accompagnant. On ne pouvait mieux dire !

Coffret « Penser Critique, Kit de survie éthique et politique (à l'usage du plus grand nombre) pour situations de crise(s) » – Thomas Lacoste – [La Bande Passante ->http://www.labandepassante.org/]

[DVD Albert Londres - Prix 2012 (DVD) ->http://www.editionsmontparnasse.fr/p1523/Albert-Londres-Prix-2012-DVD] - Editions Montparnasse

Aux sources de l'utopie numérique, de la contre-culture à la cyberculture - Frank Turner – C&F éditions

avec en prime un extrait-specimen du livre

Autre DVD « Albert Londres Prix 2012 » publié par les Editions Montparnasse. Il fait suite au coffret « 25 films des prix Albert Londres » sorti l’an passé avec la collaboration de la SCAM. Le primé de l’année est le film « Zambie, à qui rapporte le cuivre » de Audrey Gallet et Alice Odiot. On y découvre les méfaits des ajustements structurels préconisés par le FMI et la Banque Mondiale, la privatisation sauvage des mines par Glencore géant suisse de l’extraction de métau et la triste condition réservée aux travailleurs zambiens. L’enquête mené par un groupe d’habitants, un économiste zambien et une activiste française est passionnante et dévoile les nouveaux mécanismes de la vieille colonisation.
Dans le coffret également un petit livre, «  Reportages en Lybie » lauréat de Prix de la presse écrite, signé Alfred de Montesquiou qui a plongé dans le chaos lybien et raconte une révolution entrevue de l’intérieur.

Enfin en guise de dessert pour ce menu de réveillons-nous, un (très) gros livre « Aux sources de l’utopie numérique, de la contre-culture à la cyberculture » de Frank Turner chez C&F Editions. L’ouvrage datant de 2006 n’avait pas été traduit et C&F fait là oeuvre de transmission salutaire. Car qui, en France, connait l’histoire mêlée de la contre-culture américaine (la génération Beatnik, les émeutes de Berkeley, les Merrt Pranksters, la Free-Press etc) et des débuts de l’informatique. Pas ceux qui passent par les laboratoires de la DARPA ou du Jet Propulsion Lab mais par l’ARC, le Xerox Parc, le MIT et les prémisses de la Silicon Valley. Un personnage nous guide au long de ce parcours, Stewart Brand, jeune et brillant éditeur du Whole Earth Catalog, du WELL sa déclinaison informatique, ami des scientifiques et accessoirement gobeur de LSD. Car la petite pilule a quelque chose à voir avec les inventions successives des visionnaires de cette époque des années 60 à 80. Des scientifiques en phase avec ce que Turner appelle le « mouvement des communalistes ». Synchrones avec une époque où la jeunesse et les esprits libres cultivaient l’autonomie et le do-it-yourself et voulaient rompre avec la hiérarchie et les vieux schémas pour inventer un nouveau monde plus égalitaire où la science soient au service des humains et non l’inverse. Ca ne vous rappelle pas quelque chose de très contemporain ?

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Temps de lecture : 4 minutes
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