Conférence contre la pauvreté : l’ombre de l’austérité

La Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale s’ouvre ce lundi et déçoit déjà.

Lena Bjurström  • 10 décembre 2012
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Conférence contre la pauvreté : l’ombre de l’austérité
© Photo : AFP / Fred Dufour

A l’issue des deux jours de conférence, le Premier ministre annoncera les principaux axes du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Les propositions des sept groupes de travail mis en place en amont sont publics depuis une semaine, la conférence devrait donc se dérouler sans surprise. Pour Marie Lacoste, membre du groupe de travail sur la Gouvernance et secrétaire du Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP), elle s’annonce déjà comme une déception.

Le MNCP a participé aux groupes de travail de cette conférence, estimez-vous que votre parole a été entendue ?

Marie Lacoste : Nous étions présents au sein des groupes travaillant sur « l’accès et le maintien dans l’emploi » et « la gouvernance ». Nous avons par ailleurs été auditionnés par le groupe consacré à « l’accès aux droits ». Cette conférence, nous nous sommes battus pour y être. Nous nous sommes démenés pour que notre parole, qui remonte de tous les territoires où nous agissons, soit entendue. Or nous constatons que sur les trois groupes où nous avons travaillé, ou été auditionnés, seul celui sur la « gouvernance » a retenu certaines de nos suggestions, et ce de façon restreinte. De manière générale, les propositions contenues dans les sept rapports ne sont pas à la hauteur de la situation.

D’une part, le temps de la réflexion était si court que nombre de sujets n’ont pas pu être débattus. Les groupes se sont réunis six ou sept fois en un mois et demi, ce qui fait peu pour aborder des sujets complexes. D’autre part, nous constatons que l’ombre de la contrainte budgétaire plane sur ces propositions qui sont bien timides. Or, il est temps de poser quelques actes forts, car les premiers qui souffrent de la crise sont les personnes concernées par ces deux journées de conférence.

Quels seraient ces actes forts ?

En ce qui concerne l’accès aux droits, nous demandions la revalorisation en urgence des minimas sociaux et en particulier une hausse immédiate du Revenu de Solidarité Active (RSA) de 250 euros (le RSA pour une personne seule sans revenu d’activité est actuellement de 474,93 euros par mois NDLR) La proposition qui est faite aujourd’hui est une hausse progressive du RSA, sur cinq ans soit la durée du plan quinquennal, qui aboutirait à une revalorisation finale de 100 euros. Nous sommes très loin du compte. L’accès de cette aide aux moins de 26 est timidement envisagée, ce qui est une bonne chose. Et nous pouvons espérer une réforme en profondeur du système administratif du RSA, trop lourd et complexe.

Mais il n’est, semble-t-il, pas question de revenir sur les mesures du précédent gouvernement. La remise en place de l’Allocation Equivalent Retraite (aide adressée aux chômeurs âgés en fin de droits, qui n’ont pas atteint l’âge de la retraite mais déjà suffisamment cotisé NDLR), supprimée en 2011, ne fait pas partie des propositions. Or, l’allocation permettrait à des personnes âgées d’envisager sereinement la transition entre leur chômage et la retraite, et de lever le pied sur la recherche d’emploi laissant ainsi la place aux jeunes. Elle pourrait permettre de désengorger quelque peu le marché du travail.

Par ailleurs, les rapports n’envisagent pas de revenir sur la radiation des listes de demandeurs d’emploi basée sur le refus « d’offres raisonnables d’emploi ». L’arsenal légal mis en place en 2008 n’est pas remis en question. Revenir dessus aurait pourtant envoyé un message fort aux chômeurs et précaires.

Qu’en est-il de la gouvernance et de la reconnaissance des mouvements et comités de chômeurs et précaires ?

Le rapport du groupe de travail sur la gouvernance reconnaît l’importance de notre mouvement en tant qu’organisation. Mais il s’attarde tout de même sur le modèle du huitième collège du Conseil National des politiques de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion sociale (CNLE), dont nous ne faisons pas partie, et qui est essentiellement constitué de personnes issues d’associations caritatives dont la parole est, souvent, moins polémique. Au-delà de ce modèle, la représentation des chômeurs et précaires est surtout pensée par le prisme des « usagers », soit par le recours à des « experts du vécu » qui ne peuvent prendre la parole qu’en leur nom en se basant sur une expérience personnelle. Or, avant d’être des « usagers », les chômeurs et précaires sont des citoyens qui ont le droit de s’exprimer sur des sujets qui les concernent.

Ce que nous défendons, au sein du MNCP, c’est l’importance d’une parole collective, portée par des organisations qui font remonter cette réflexion commune et agissent, avec les citoyens, sur le terrain. Il y a eu, au sein du groupe de travail sur la gouvernance, un progrès dans la reconnaissance de cette parole organisée. Notre travail dans les comités de liaison à Pôle Emploi a été établi comme porteur de changement. Le rapport propose notamment notre représentation au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), tandis que le groupe de travail sur l’accès à l’emploi suggère que nous soyons présents au Conseil d’Administration de Pôle Emploi.

Notre importance est reconnue, c’est un progrès. Mais il manque un élément important. Faire parler les gens, porter une réflexion collective, agir sur le terrain, tout cela demande du temps et des moyens. Or, pour des raisons évidentes, les collectifs de chômeurs et précaires ne tirent pas des cotisations un véritable budget. Une reconnaissance symbolique n’est pas suffisante, les collectifs ont besoin d’un soutien financier sans lequel le mouvement risque de rester à un stade très embryonnaire. Nous ne demandons pas forcément que ces aides soient importantes, juste qu’elles existent. Les syndicats, qui représentent les salariés, et les associations de parents d’élève, par exemple, bénéficient d’aides. Les collectifs de chômeurs et précaires en ont également besoin pour représenter, porter une parole collective et agir.

Dans l’ensemble, y a-t-il un changement dans le discours et les préoccupations à cette conférence nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion ?

Le simple fait que ces journées soient organisées va dans le bon sens. Nous espérions cependant que les débats et les rapports aillent plus loin . Il n’y a pas de courage dans ces propositions et je pense malheureusement que nous ferons partie de la cohorte des déçus. Ce qui nous use, finalement, c’est que la préoccupation affichée du gouvernement, c’est l’emploi. C’est noble et important, mais en attendant de pouvoir fournir du travail à 3 millions de chômeurs, que fait-on d’eux ? Comment les prendre en compte, les indemniser ? C’est ce que nous essayons de faire passer, et s’il y a une meilleure reconnaissance de notre mouvement, ce message a encore peu d’échos.

Économie Société
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