EPR, une explosion des coûts

Le bond de la facture du réacteur de Flamanville amplifie une règle historique : cette technologie hors normes est de plus en plus onéreuse, en raison de contraintes croissantes.

Patrick Piro  • 13 décembre 2012 abonné·es

Et 2,5 milliards d’euros de plus… La facture prévisionnelle de l’EPR de Flamanville, réacteur nucléaire nouvelle génération, s’élève désormais à 8,5 milliards d’euros – un bond de plus de 40 % en un an ! Selon EDF, qui l’annonçait la semaine dernière, c’est en raison de « l’évolution du design de la chaudière, des études d’ingénierie supplémentaires, l’intégration des nouvelles exigences réglementaires, ainsi que les enseignements post-Fukushima ». La mise en service reste prévue pour 2016. L’action de l’entreprise a immédiatement plongé, pour toucher son plus bas niveau historique (moins de 14 euros), et l’électricien italien Enel a précipité son retrait du projet (c’était dans l’air), ce qui coûtera près de 700 millions d’euros à EDF. Car ce n’est pas le premier dérapage. Au lancement du projet, en 2007, l’EPR était affiché à 3,3 milliards d’euros. Depuis, la facture a explosé, par paliers. Avec 8,5 milliards d’euros – une multiplication par 2,6 –, le seuil de rentabilité est largement menacé : le coût de production du mégawattheure (MWh), vanté à 30 euros il y a dix ans, dépasserait désormais 100 euros, quand EDF est tenu de vendre l’électricité en gros aux fournisseurs à 42 euros/MWh. Conjoncturelles les mésaventures de l’EPR [^2] ? L’étude d’Arnulf Grübler suggère le contraire. En 2010, le chercheur autrichien, de l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA, Autriche), a montré que les investissements de la filière nucléaire française augmentaient avec constance depuis son origine [^3] : à puissance égale, chaque génération de réacteur coûte plus cher que la précédente – 2,6 fois plus, de 1977 à 1999, en monnaie constante. Et l’EPR prolonge parfaitement la démonstration : à plus de 5 millions d’euros le mégawatt installé, c’est environ deux fois plus que pour le plus récent réacteur français (à Civaux, Vienne).

Le phénomène dure depuis plus de trente-cinq ans : alors que les coûts d’investissement décroissent au fil du temps à mesure qu’une technologie se déploie (standardisation, grandes séries, unités de production plus importantes, etc.), c’est exactement le contraire qui se produit pour le nucléaire. Au lieu « d’apprendre en marchant », comme disent les analystes, la technologie de l’atome civil « désapprend en marchant ». Et Grübler a établi son résultat sur le programme nucléaire français, a priori le moins démonstratif tant sa cohérence a été poussée : 58 réacteurs très standardisés en vingt-deux ans à peine, une centralisation totale des décisions, un monopole d’EDF (à la fois constructeur et exploitant), l’intégration du cycle du combustible de l’extraction à la gestion des déchets, etc. Aux États-Unis, où c’est à peu près l’inverse, la dérive des coûts est encore plus flagrante, constate Grübler. Explication : la complexité de la technologie nucléaire et un défaut de maîtrise du risque qui obligent à rehausser constamment les normes de sûreté – et les investissements. La catastrophe de Fukushima, en mars 2011, l’a encore démontré.

À l’opposé, les renouvelables « apprennent en marchant », et vite. L’éolien, avec un coût de production de l’ordre de 80 euros/MWh, est déjà nettement plus avantageux que l’EPR. En Caroline du Nord, des économistes états-uniens ont constaté que les coûts de production du photovoltaïque sont devenus inférieurs à ceux du nucléaire dès 2010 [^4]. EDF, à son insu, corrobore cette analyse. Les déboires de l’EPR ne traduiraient pas un dérapage, mais la méconnaissance du coût réel initial, avouait la semaine dernière Hervé Machenaud, directeur du projet EPR à Flamanville. En raison du départ à la retraite des ingénieurs qui ont participé au programme nucléaire 1977-1999, de l’absence de nouveau chantier en France depuis dix ans, du gigantisme de ce modèle (le plus gros au monde avec ses 1 650 mégawatts de puissance, le « plus sûr », le plus complexe…), etc. Le « désapprentissage en marchant »… EDF, qui affirme que le surcoût de la tête de série sera amorti sur le parc de réacteurs construits, en est réduit à spéculer. Premier objectif : dix commandes d’ici à cinq ans. Il paraît hors d’atteinte. Un test décisif est attendu début 2013 : le Royaume-Uni prendra sa décision définitive concernant la commande de deux EPR. La nouvelle facture du réacteur de Flamanville pourrait bien tout faire capoter.

[^2]: Également constatées sur l’EPR finlandais, le premier construit. En revanche, les deux EPR chinois semblent tenir les coûts et délais, mais les affirmations de l’opérateur sont difficiles à vérifier.

[^3]: « The costs of the French nuclear scaleup : a case of negative learning by doing », Energy Policy, vol. 38 (2010).

[^4]: Solar and Nuclear Costs. The Historic Crossover, John O. Blackburn et Sam Cunningham.

Écologie
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