La Poste : « On nous dit que la souffrance est normale »

Des postiers privés d’activité, d’autres surchargés : le syndicaliste Patrice Campion dénonce les ravages de la restructuration.

Thierry Brun  • 13 décembre 2012
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La Poste : « On nous dit que la souffrance est normale »
© Photo : AFP / THOMAS BREGARDIS

Patrice Campion est quasiment sans boulot. Pourtant, il est rattaché à une direction qui regroupe deux départements, le Finistère et le Morbihan. Le postier, chef d’établissement et syndicaliste, qui avait la charge des bureaux de Combrit et de l’Île-Tudy, explique sa situation : « Le bureau dans lequel je travaillais a été rattaché à un autre plus important. Je suis dans le même cas que de nombreux postiers, qui ont ainsi perdu leur activité. En fait, je n’ai plus de poste depuis trois ans, pas même de chaise… »

Patrick Campion décrit une entreprise « en restructuration permanente. On a supprimé beaucoup de personnel et de bureaux de poste. On a recentré les activités principales sur les gros bureaux. Et La Poste a créé des fonctions virtuelles sous forme de lettres de mission, distribuées aux postiers qui ont perdu une partie de leur activité. Certains se retrouvent avec 70 % de leur temps en lettres de mission, et avec le moral au plus bas ».

Patrice Campion : un système « pernicieux »


Des salariés de la Poste sont rassemblés devant la direction territoriale de la Poste de Quimper, suite au suicide d'un cadre, le 4 mars 2012, dix jours après le suicide d'un autre cadre, à Rennes. - AFP / Thomas Bregardis

Patrice Campion raconte le cas de ce collègue, dans le secteur de Morlaix, « à qui on a diminué considérablement les heures d’ouverture de son bureau de poste. Comme on n’en a pas d’autre à lui proposer, on le laisse en place dans un bureau fermé. On lui confie du rangement de documents en lettres de mission. Cette personne n’a quasiment plus d’activité, et pourtant elle est physiquement présente dans le bureau dans lequel elle travaillait auparavant. Au quotidien, se sentir inutile est très préjudiciable ».

Le syndicaliste constate des cas de « souffrance extrême, en particulier chez les postiers arrivant en fin de carrière. On leur fait comprendre qu’ils ne sont pas bien vus s’ils sont en situation de souffrance physique, parce que la recherche de productivité est de plus en plus grande. Pour réaliser des gains de productivité sur les moyens de remplacement et pallier les absences inopinées comme les congés maladie, la direction a mis en place des tournées qu’on appelle “sécables”, réparties entre un nombre réduit de facteurs. Beaucoup rentrent plus tard de leur tournée, et doivent travailler beaucoup plus vite. Tout cela entraîne une souffrance plus grande pour ceux qui n’y arrivent pas et pour ceux qui ont des difficultés physiques ».

Les postiers ont également des objectifs à remplir : « Il a été mis en place un entretien d’appréciation, qui a lieu au printemps, au cours duquel sont fixés des objectifs à chaque postier, qui ne sont pas forcément chiffrés. Ainsi, chaque année, une prime “facteur d’avenir” est accordée selon des critères fixés par la hiérarchie, et elle s’applique à l’ensemble de l’équipe. Ces critères peuvent être liés à l’absentéisme, au nombre de tournées, etc. Certains, en situation de faiblesse, culpabilisent. Cela crée un système pernicieux qui génère de plus en plus de mal-être au quotidien dans les établissements. »

Des formations « ont été dispensées aux cadres pour accompagner les “changements” » , ajoute Patrick Campion, marqué par le suicide, en mars dernier, d’un de ses collègues, cadre supérieur : « Il en avait suivi une, et il nous a fourni de nombreux éléments sur le fait qu’on forme des personnes pour leur faire accepter que la souffrance est normale, que le changement passe par ce stade. À la lecture de l’ensemble des informations que nous a transmises ce collègue, on comprend pourquoi il en est arrivé là. Il avait connu La Poste à l’époque où c’était un établissement avec une mission de service public. Aujourd’hui, elle est devenue une entreprise comme les autres, cherchant à faire plus de profits pour certains, au détriment de beaucoup d’autres ».

Pour le syndicaliste, le dossier est accablant. On avait demandé à ce cadre supérieur qui s’est ôté la vie « de réaliser des gains de productivité en ne cherchant pas à remplacer les facteurs absents. Il ne supportait plus cette situation. Il a exprimé son mécontentement, et on lui a fait comprendre que ce n’était pas recevable. Il a été considéré comme le mouton noir. En fin de compte, il n’avait plus de poste… »


À lire : À La Poste : « Le harcèlement comme mode de management »

_ Témoignage d’une ancienne directrice des ressources humaines de la Poste (juin 2012).

Publié dans le dossier
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Temps de lecture : 4 minutes
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