TGV Lyon-Turin : bataille du rail avant le sommet Hollande-Monti

Interpellations d’opposants italiens, contrôles, blocage à la frontière, multiplication des communiqués et des conférences des pro et anti Lyon-Turin, sur fond de révélations sur les conflits d’intérêt… L’ambiance était tendue avant le sommet franco-italien des chefs d’Etat qui doit se tenir le 3 décembre à Lyon.

Thierry Brun  • 2 décembre 2012
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« Le coup de force a commencé par le dépôt d’un projet de loi sur le projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin », prévient Noël Communod, conseiller régional (Mouvement région Savoie) qui a rejoint au début de l’année la Coordination française contre le projet Lyon-Turin fret voyageur (CLT). Dans la petite salle comble de l’Espace Sarrazin à Lyon, les opposants ont invité des élus locaux, régionaux, nationaux et européens à un « avant-sommet » les 30 novembre et 1er décembre, « preuves en main » contre le projet pharaonique de liaison ferroviaire à grande vitesse, dont le coût est estimé à plus de 26 milliards d’euros par la Cour des comptes(voir notre enquête sur les conflits d’intérêt publiée le 4 octobre).

« Je suis totalement convaincu de la bonne foi de la commission et de l'intégrité de ses membres. J'ajouterai -et c'est vraiment l'essentiel- que le travail que vous avez fourni est tout à fait remarquable, par l'ampleur de la tâche, de la précision des observations et l'apport extrêmement intéressant de vos conclusions très motivées » , peut-on lire dans un courrier écrit par le vice-président du tribunal administratif de Grenoble (et non de Lyon, comme indiqué par erreur), Pierre Dufour, dont nous avons pu consulter le contenu. Le magistrat s'adresse à Pierre-Yves Fafournoux qui a présidé la commission d'enquête publique concernant le projet de création d'une nouvelle liaison ferroviaire entre Grenay (Isère) et Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), dans le cadre du projet Lyon-Turin. Ce courrier n'est pas anodin car deux demandes d'annulation d'enquêtes publiques ont été adressées récemment aux préfets de l'Isère, du Rhône et de Savoie par des membres de la Coordination contre le projet Lyon-Turin fret voyageur. La Coordination a récemment reçu le soutien dans cette démarche des Jeunes agriculteurs et de la FDSEA des Savoie, ainsi que de la Confédération paysanne. Une des demandes fait part d'un « probable conflit d'intérêt de Monsieur Guy Truchet », membre de la commission d'enquête présidée par... Pierre-Yves Fafournoux qui a écrit une lettre au tribunal pour expliquer la position de la commission dans cette affaire. Or, la requête en annulation mentionne que le frère de Guy, Roger Truchet, dirigeant de la société Truchet TP est « recommandée par la commission d'enquête » : « Compte tenu des enjeux financiers, pour le bénéficiaire de cette recommandation, et du lien parental direct, le commissaire enquêteur aurait dû, à notre sens, renoncer à sa fonction conformément à la règle déontologique ». La requête ajoute : « Dans le cas présent, il semble avéré que le président n'a pas eu la vigilance suffisante pour détecter cette entorse à la règle déontologique ». Mais à la lecture de la missive du vice-président du tribunal administratif, il y a peu de chance que la requête soit suivie. Car Pierre Dufour estime que « les opposants au projet cherchent tous les angles d'attaque possibles, en passant sous silence les nuances et la finesse de votre travail, pour ne retenir qu'une vision manichéenne des choses ; cela est malheureusement classique ». Le moins qu'on puisse dire est que le magistrat ne donne pas dans la « finesse » quant à son jugement, alors que le tribunal n'a pas encore pris de décision.
### « Nous sommes là pour jouer notre rôle. Nous refusons d’être des citoyens qui votent et ensuite se taisent. C’est le message qu’il faut diffuser pour que la démocratie revienne sur le devant de la scène dans ce projet », assure Nicole Demay de l’association Bien vivre à Verel (Verel-de-Montbel), un village de 300 habitants de l’avant pays savoyard concerné par le projet de nouvelle ligne ferroviaire : « C’est la détresse de nos voisins agriculteurs qui nous a fait mettre le nez dans le dossier. Or nous avons besoin des agriculteurs. Mais les déblais de la nouvelle ligne Lyon-Turin risquent de tarir les sources pendant le creusement des tunnels. Toute la montagne sera impactée, en particulier les ressources en eau potable » .

Le collectif de Chapareillan (Isère) contre les nuisances du Lyon-Turin, commune du parc naturel de la Chartreuse, ainsi que les élus, dénonce, lui aussi, « les risques de tarissement des sources » et les « destructions de zones humides en forêt alluviale » . Un élu du Mouvement 5 étoiles, organisation politique qui a connu un succès électoral lors des récentes municipales italiennes, s’époumone : « Pourquoi vouloir cette nouvelle ligne, alors qu’elle existe déjà à Fréjus ! On doit donner les moyens au transfert des camions vers le rail, tout de suite. Il y a là une solution acceptable qu’il faut étudier. Et personne ne dit que l’Union européenne n’a pas encore décidé du financement de la ligne. Or elle n’aura pas les ressources suffisantes pour financer les projets européens de transport » .

Élus et opposants sont cependant inquiets de l’attitude du gouvernement français : mercredi 28 novembre, ils ont appris qu’un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et l’Italie pour la réalisation et l’exploitation de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin a été présenté en Conseil des ministres. « Alors que l’opposition au projet Lyon Turin s’élargit et se renforce chaque jour, le gouvernement choisit de provoquer des tensions dans un dossier qui a révélé ses faiblesses économiques et environnementales, ainsi que de graves irrégularités » , a aussitôt réagit la Coordination, la veille de l’avant-sommet.

Depuis mercredi, déclarations et communiqués des anti et des pro Lyon-Turin se sont multipliés et ont fait monter la pression alors que lundi 3 novembre, François Hollande et Mario Monti doivent se rencontrer à Lyon , lors d’un sommet franco-italien au cours duquel doit être conclu le financement de la nouvelle ligne ferroviaire. Les lobbyistes de La Transalpine, « comité pour la liaison européenne transalpine Lyon-Turin » , ont mené l’offensive, jeudi, dans un grand hôtel parisien, déclarant que le sommet franco-italien « doit être l’occasion de passer aux actes » . Et les propos provocateurs de Jean-Jacques Queyranne, président PS de la région Rhône-Alpes, membre de La Transalpine, ont mis de l’huile sur le feu : « Aller contre le Lyon-Turin aujourd’hui, c’est faire le choix de la route et du lobby routier », a-t-il accusé dans un entretien publié pendant l’avant-sommet (dans Le Progrès), pointant la « volte-face de certains défenseurs de ce projet » .

Le président du conseil régional reconnaît implicitement que l’unanimisme pro Lyon-Turin a été récemment rompu. Dominique Dord, député-maire UMP, a jeté le trouble dans les esprits en étant présent au lancement de l’avant-sommet des opposants : « Ne sommes-nous pas victimes d’un abus de conscience ? » , a interrogé l’élu de droite qui demande une réponse de Réseau ferré de France face aux arguments présentés par la Coordination. « Les informations officielles sur lesquelles nous fondons nos raisonnements et nos décisions, depuis vingt ans, font pour moi l’objet d’un doute plus grand encore » , a réagi le parlementaire.

« Nous sommes gagnants en ce moment. Des personnalités et des élus nous rejoignent.** Cela veut dire que nous sommes forts. En Italie, nous aurons des élections législatives en 2013, que nous attendons avec impatience, car on aura la preuve que notre solitude est terminée »* , tempère Paolo Prieri, un des principaux animateurs du très populaire mouvement italien No-TAV (treno alta velocità, train à grande vitesse), à l’origine du mouvement contre les grands projets inutiles lancé à Hendaye en 2010. « Nous avons déjà déposé deux demandes d’annulation des enquêtes publiques , surenchérit Noël Communod. Les autorités sont inquiètes de la mobilisation. Le monde agricole, les élus des communes concernées nous ont rejoint. Notre combat est clair : nous sommes contre l’inutilité de ce projet incompréhensible. Et nous avons des points forts : des arguments techniques, appuyés par la Cour des comptes ».

Tensions avant la manifestation lyonnaise du 3 décembre

A Lyon, la préfecture emploie les grands moyens avant la manifestation prévue en marge du sommet franco-italien du 3 décembre , au cours duquel François Hollande et Mario Monti doivent aborder la question du financement du grand projet de liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin. Pas moins de deux stations de métro seront fermées et les forces de l’ordre quadrilleront le lieu de rassemblement des manifestants prévu près de la place Guichard et de la gare Part-Dieu.

Les opposants italiens du mouvement No-TAV sont attendus de pied ferme, car ils seront nombreux à faire le déplacement de Lyon, ont indiqué les élus italiens présents à l’avant-sommet franco-italien contre le projet. Un millier de No-TAV italiens sont annoncés alors que les organisations françaises ont du mal à mobiliser. Des dizaines d’élus des différents partis politiques ont cependant annoncé leur participation au côté des No-TAV, une première dans la région, alors que le mouvement Italien est puissant.

« Cela fait vingt-deux ans qu’en Italie la vallée de Suse est en lutte » , explique un militant du collectif No-TAV Savoie. « Désormais, il faut travailler ensemble et s’unir » , souligne Paolo Prieri. « Lundi sera un moment fort à Lyon pour montrer qu’il n’y a pas que des « villageois » mobilisés, ajoute Noël Communod, qui a écrit, avec Daniel Ibanez, une lettre à François Hollande au nom du groupement des coordinations d’opposition au projet Lyon-Turin en Rhône-Alpes, en Italie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Surtout, la grande crainte du gouvernement est que le mouvement contre l’aéroport de Notre-dame-des-Landes et celui du Lyon-Turin se rejoignent » .

L’avant-sommet franco-italien a donné un avant-goût des échanges tendus entre les autorités et les mouvements. Un vent de révolte a soufflé contre les pressions et les « abus » : « Les agents de police nous ont interpellés à la gare de Fréjus et ce n’est pas la première fois » , témoigne Sandro Plano, président de la communauté de montagne du val de Suze. « Lundi, des dizaines de cars sont attendus à Lyon pour la manifestation » , ajoute un opposant du mouvement italien No-Tav. « Entre manifestations à 80 000 personnes, blocages routiers, assemblées populaires, occupations de chantiers et autres, le mouvement No-TAV est créatif, massif et tenace » , expliquent les collectifs français.

Dès jeudi, Les forces de l’ordre italiennes ont effectué une série de perquisitions et d’interpellations dans les milieux des opposants au projet de TGV Lyon-Turin, à Turin et dans le Val de Suse, ont annoncé les médias italiens. Au cours de ces opérations, neuf militants ont été mis aux « arrêts domicilaires », dont sept d’entre eux pour avoir fait irruption, en août dernier à Turin, dans le bureau d’études de la société Geovalsus qui effectue des travaux de préparation à la réalisation du train. Le lendemain, « un car d’italiens a été empêché de venir sur Lyon pour le contre sommet, témoigne un militant d’EELV. C’est très grave, car il n’y avait aucun motif valable pour arrêter ce car et prendre les portables des personnes. Trop retardées, elles sont reparties. C’est clairement une atteinte aux libertés publiques » .

La Coordination française et le mouvement italien No-TAV ont adressé une lettre ouverte à François Hollande et à Mario Monti , président du Conseil italien pour dénoncer « les pressions de toutes sortes (…) mises en œuvre en Italie, par exemple, et en ce qui concerne la galerie de reconnaissance de La Maddalena de Chiomonte, en occupant des terrains non prévus à l’origine et en continuant à travailler sur un chantier de construction sans projet d’exécution et donc en violation de la loi et avec la complicité du Procureur général près la Cour de Turin. Tout cela afin de convaincre l’Union Européenne que l’Italie est activement engagée dans ce projet » .

Photo : AFP / OLIVIER MORIN
Temps de lecture : 8 minutes
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