Choses vues au Kurdistan irakien

En quelques années de calme et de reconstruction le Kurdistan irakien a gagné son autonomie.

Claude-Marie Vadrot  • 15 janvier 2013
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Choses vues au Kurdistan irakien
Photo : AFP / JOSEPH BARRAK

Cinq millions d’habitants sur 50 000 kilomètres carrés, le Kurdistan irakien offre une atmosphère calme qui fait dire à ses responsables que cet Etat autonome, qui n’a jamais connu l’occupation américaine après les répressions de Saddam Hussein, est devenu « la Suisse du Moyen Orient » . Affirmation qui relève du caractère méridional des Kurdes mais qu’un séjour dans sa capitale Erbil en proie à la spéculation immobilière et commerciale semble confirmer. Elle accueille de nombreux réfugiés chrétiens appréciant de ne plus être persécutés.

Suzy travaillait à l’ambassade d’Espagne à Bagdad. Son père est mort dans l’attentat contre leur église. Comme des milliers de Kurdistanais chrétiens, elle a fui la capitale irakienne, son insécurité et ses persécutions. Elle revit dans ce nouveau hameau du Nord, Tina, construit par le gouvernement du Kurdistan, en compagnie d’une quinzaine de familles. Ils étaient commerçants, ouvriers, fonctionnaires, artisans, ils n’en pouvaient plus de la violence, ne supportaient plus de raser les murs ; désormais ils seront agriculteurs et au calme.

Dans le village voisin de Menghesh où cohabitent 750 chrétiens et 2000 musulmans, Mgr Rabbani reçoit les uns et les autres à la faveur d’une cérémonie de condoléances sur le parvis de son église puis autour d’un repas de deuil. Il y a le maire, un chrétien, son cousin Azad Bésifki, le chef de la tribu, un musulman mais aussi Nawzat Bésifki, le frère, 25 ans, qui revient s’installer au village. Il a abandonné l’Angleterre où il a obtenu des diplômes d’économie pour se lancer dans les affaires, heureux de revenir dans un pays pacifié : « Ce qui se passe ici commence à ressembler à nos rêves. Nous apprenons la paix et la vie sans fusil. Cela prendra sans doute une génération mais c’est bien parti » .

Mgr Rabban, après avoir visité le chantier de l’église en fin de reconstruction, renchérit : « avant le christianisme, avant l’Islam, nous étions tous du même sang, tous frères, eh bien il faut cultiver cela. Aujourd’hui, pour moi, pour les habitants de mon diocèse, nous sommes tous non pas des Kurdes mais des Kurdistanais. Voyez-vous, je commence à croire que si le paradis existe sur terre, il est déjà au Kurdistan. Hier, dans ce terrible accident qui a tué le fils de mon ami, il y a eu quatre morts et dans la voiture coexistaient trois religions : l’islam, le christianisme et le culte zoroastrien, les adorateurs du feu, de dieu et du diable ; tous amis » . Il vient de célébrer la messe de l’Immaculée Conception en araméen, la langue que tous parlent dans la région en plus du kurde et de l’arabe.

Chrétiens et musulmans ensemble

Rabban –« laissez tomber le monseigneur s’il vous plait ! » , demande-t-il à son interlocuteur – jubile en faisant visiter son immense diocèse adossé aux montagnes qui le sépare de la Turquie. Cet évêque est à la fois pasteur de 35 000 chrétiens, architecte, constructeur de route, conducteur de camion ou de tractopelle, rénovateur de vieilles églises millénaires et professeur de français au lycée de Dahuk qu’il a créé. Il veut montrer comment les chrétiens de toutes obédience viennent se mettre au calme dans sa province du nord et aussi à Erbil, la capitale du Kurdistan. 20 000 chrétiens vivent aussi dans la capitale ; en bonne intelligence avec les musulmans.

Peshmergas gardes forestiers

Beaucoup d’Irakiens cherchent à s’installer dans ce petit pays qui rêve de repousser ses frontières « naturelles » jusqu’à Kirkuk et son pétrole, et grossir jusqu’à atteindre 90 000 km2. Une ressource en pétrole qui a failli provoquer un conflit armé avec l’Irak au mois de décembre dernier. Ce que ces chrétiens, kurdes ou arabes, cherchent ici, c’est le calme. Ce qu’ils trouvent, c’est une nation en cours d’organisation avec un parlement votant des lois, un président, des ministres de plein exercice et une économie en pleine expansion. Une partie des célèbres Peshmergas ont été intégrés dans une armée nationale. Les autres sont gardes-frontières, surveillent les autoroutes ou ont été reconvertis en gardes forestiers pour empêcher que soient détruites les dernières forêts qui ont beaucoup souffert pendant la guerre, quand les gens n’avaient plus rien pour se chauffer.

Sur les routes, les énormes machines à asphalter s’affairent et réparent. Dans les rues d’Arbil, le décollage économique se mesure au nombre des grues, des projets d’équipement affichés et à la ruée des hommes d’affaires surpeuplant les hôtels. Tous les jours, des avions arrivent d’Europe sur le nouvel aéroport de la ville. Commentaire de l’évêque Rabban : « le gâteau kurde est en cours de distribution, que la France vienne prendre sa part, bon sang, il n’y a pas beaucoup de pays où vous trouvez à la fois une place Danielle Mitterrand et une rue François Mitterrand, la France a bonne réputation ici et vous nous oubliez, vous ne nous aidez même pas à enseigner le français » .

Tout n’est pas réglé, l’électricité manque encore et la distribution de l’eau reste parfois chaotique. Et la population grogne à la corruption et à la mainmise du clan Barzani sur l’économie et la politique. Tout va très vite, trop vite sans doute. Mais si de grosses fortunes se constituent rapidement, seul point commun avec la Suisse, les salaires sont deux ou trois fois plus élevés qu’à Bagdad.

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