Emploi : à gauche du PS, l’accord syndical fait l’unanimité contre lui

Les réactions se sont multipliées avec la même virulence, de l’aile gauche du Parti socialiste au Front de gauche, contre un accord « régressif » et « dangereux » pour les salariés. Synthèse.

Erwan Manac'h  • 14 janvier 2013
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Emploi : à gauche du PS, l’accord syndical fait l’unanimité contre lui

Un accord « historique », une leçon de dialogue social, une première « bonne nouvelle » dans le début de quinquennat moribond de François Hollande : l’accord national interprofessionnel (ANI) conclu vendredi 11 janvier entre syndicats de patrons et de salariés sur la « sécurisation du travail » est censé faire l’unanimité.

Loin s’en faut. Avant d’être transposé dans la loi par la majorité, le texte devra même affronter une opposition politique qui s’est dessinée ce week-end de l’aile gauche du PS au Front de gauche.

Licenciements économiques et « compétitivité » : pire que la droite

Au Parti socialiste, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Emmanuel Maurel, chefs de file du courant « Maintenant la gauche », ont pris position, dimanche 13 janvier, contre un texte qui « contient de nombreuses régressions sociales. » Ils saluent des « avancées non négligeables » pour les salariés, mais estiment l’accord déséquilibré en faveur du patronat.

L’accord pour « un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi » devrait être signé par la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et trois organisations patronales. Il permettrait aux entreprises, en cas de « graves difficultés conjoncturelles » , de baisser les salaires et le temps de travail pour une durée maximale de deux ans en s’engageant à ne pas licencier. En « échange », plusieurs mesures ont été négociées : généralisation de la complémentaire santé, hausse de la taxation d’une partie des contrats courts (entre 0,5 et 3 points d’augmentation des cotisations d’assurance-chômage selon le type de CDD), encadrement du temps partiel, création systématique d’un compte individuel de formation pour les salariés, entrée (avec « voix délibératives ») de salariés dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 5 000 salariés.
Premier motif de grief, les accords dits de «  maintien de l’emploi » qui autorisent les entreprises en cas de « graves difficultés conjoncturelles » à baisser les salaires et le temps de travail pour une durée maximale de deux ans. Ils sont la «  copie conforme des accords “compétitivité-emploi” proposés par Sarkozy pendant la dernière campagne et auxquels la gauche s’était fortement opposée », regrettent les trois socialistes.

« Les salariés ne pourront plus refuser un avenant à leur contrat de travail si un accord d’entreprise le prévoit », dénonce le Front de gauche, qui — fait rare — a publié un communiqué commun contre l’ANI. Le mouvement unitaire dénonce un texte qui « sur bien des aspects, rompt avec notre modèle social et républicain ».

Les accords de « maintien de l’emploi » sont « pires que la loi Fillon du 4 mai 2004, s’inquiète à son tour Gérard Filoche, membre du Bureau national du Parti socialiste. Il n’avait pas osé imposer la loi à un salarié qui refusait individuellement la baisse de son salaire. Celui-ci restait dans ses droits ! Là, ce n’est plus le cas, il sera licencié avec une “cause réelle et sérieuse”.»

Les nouvelles règles de contestation des licenciements économiques sont aussi vivement critiquées (les plans sociaux seraient homologués par l’administration ou par un accord majoritaire et les contentieux seraient transférés au juge administratif). Elles « remettront frontalement en cause les droits des comités d’entreprise de contester en urgence devant le juge civil la régularité et la validité des PSE» , s’inquiètent Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Emmanuel Maurel.

Des avancées en trompe-l’oeil

Concernant les « droits nouveaux » censés contrebalancer les mesures obtenues par le Medef, les critiques sont nombreuses. « Il n’y a pas une seule avancée… sauf pour le patronat », tranche Gérard Filoche dans une analyse très critique qui fustige des « accords de Wagram » , du nom de la rue où siège le Medef, là où le texte a été négocié. L’ancien inspecteur du travail s’attache à démonter une à une les mesures présentées par l’accord comme des gains pour les salariés. Selon lui, la hausse de la taxation des contrats courts est un leurre : son coût estimé à 110 millions d’euros est à retrancher aux 155 millions d’euros qui seront économisés avec la défiscalisation des embauches de jeunes de moins de 26 ans en CDI, escomptée « en échange » aux patrons, pendant trois mois. «  La différence globale est de 45 millions entre cette prétendue taxation censée décourager les contrats courts et les exonérations accordées : ces 45 millions sont à l’avantage du patronat », estime le socialiste qui milite pour que les CDD de moins d’un mois redeviennent interdits.

Autre « avancée » jugée trompeuse, l’extension de la « couverture complémentaire santé pour tous » prévue par l’accord . En somme, critique Gérard Filoche, l’accord aboutit surtout à un don de « 4 milliards aux compagnies d’assurance en 2016 » .

Un accord illégitime

C’est enfin sur la forme que l’accord cristallise le plus de critiques. Les syndicats qui le refusent (dont la CGT et FO) « sont ensemble les plus représentatifs », avance le Front de gauche, qui sonne le tocsin en annonçant qu’il soutiendra les mobilisations contre le texte. Ce compromis intervient qui plus est « avant que ne soit connue courant 2013 la représentativité réelle des organisations syndicales au regard des votes des salariés dans les entreprises », ajoutent les porte-paroles de « Maintenant la gauche ».

Le courant « Un monde d’avance », situé à la gauche du Parti socialiste, appelle de son côté les parlementaires  « à jouer pleinement leur rôle dans ce débat crucial ». Le dialogue social, ajoute le mouvement « Hamoniste » qui refuse pour le moment de se prononcer sur le fond de l’accord, « ne saurait impliquer la réduction de l’espace de débat légitime de la représentation nationale, ni sa transformation en une chambre d’enregistrement. »   

«  Il ne peut être question, selon nos principes constitutionnels, de priver la représentation nationale de son droit de débattre », avertissent enfin Marie-Noëlle Lienemann, Jérome Guedj et Emmanuel Maurel, en prévision de la transposition législative de l’accord.


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