Les grands travaux de démolition

La protection sociale est un système de moins en moins solidaire et égalitaire. Exemple avec la santé.

Thierry Brun  • 24 janvier 2013 abonné·es

Cela ressemble à un tour de passe-passe. Lors de la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2013, Marisol Touraine et Jérôme Cahuzac, les ministres des Affaires sociales et du Budget, ont voulu rassurer sur le sort de la protection sociale dans le cadre du plan d’austérité budgétaire. Des cotisations et des recettes sont prévues en hausse, « sans aucun déremboursement » de médicaments, promet Marisol Touraine. En contrepartie, des mesures d’économies sont programmées : pas moins de 2,6 milliards d’euros pour réduire le déficit de la Sécu… Le Parti socialiste estime conduire « une rupture radicale avec dix ans de sarkozysme en réduisant les déficits tout en améliorant la couverture sociale des Français ».

Syndicats et collectifs pour la défense de la Sécu ont une autre analyse des orientations gouvernementales : « Le PLFSS 2013 répond peu à l’urgence de justice sociale », affirme notamment la CGT, qui craint la suppression de milliers d’emplois dans les secteurs de la santé et de l’action sociale. « En ce début d’année, c’est avec inquiétude que nous constatons que les dépassements d’honoraires sont aujourd’hui officialisés, que les franchises sont toujours là, que les restructurations en application de la loi Bachelot  [loi de 2009, dite « Hôpital, patients, santé et territoires », NDLR] continuent et que le budget qui a été adopté pour la Sécurité sociale ne permettra pas de faire face aux besoins », constate le collectif Notre santé en danger, lequel envisage une initiative nationale en mai.

Dans une lettre ouverte à François Hollande, Joseph Sevilla, membre d’actuchomage.org, accuse les services d’insertion des départements, qui ont en charge l’attribution du RSA, de pratiquer « l’élimination sociale des ayants droit » . Selon lui, ces services découragent les demandeurs en faisant traîner les procédures ou en leur opposant des refus injustifiables. Lui-même a saisi le Conseil d’État, lequel a condamné par deux fois son département, après dix ans de procédure. Les forums et blogs sur l’accès au RSA abondent dans le sens de Joseph Sevilla, ainsi que les pétitions dénonçant des suspensions abusives. La création du RSA reposait sur des présupposés politiques autour de la fraude aux prestations sociales, et « poursuit un seul but : changer les principes de solidarité du système de protection sociale » , souligne Philippe Warin, cofondateur de l’Observatoire des non-recours aux droits et services [^2]. Parler de droits collectifs est devenu suspect, alors qu’encourager la capacité à s’en sortir soi-même est encensé. Ce leitmotiv, accompagné de la suspicion d’assistanat, a contribué à creuser les inégalités. Le non-recours au RSA est massif : un rapport d’évaluation de l’Assemblée nationale, publié en 2011, estime à 5,3 milliards d’euros par an les prestations non versées.

[^2]: L’Envers de la « fraude sociale », le scandale du non-recours aux droits sociaux , Odenore, La Découverte, 2012.

En fait, la santé ne figure pas parmi les priorités budgétaires du gouvernement, soulignent les syndicats, les associations et les partis de la gauche non gouvernementale. Ainsi, la « première mesure massive, et sans précédent », du pacte pour la croissance, selon l’expression de Jean-Marc Ayrault, octroie un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) de 20 milliards d’euros aux entreprises. Entré en vigueur le 1er janvier, cet « allégement » s’inscrit dans une logique de « baisse du coût du travail », financée en grande partie par des économies budgétaires qui fragilisent la Sécurité sociale. Les exonérations de cotisations sociales pèsent aussi sur le budget de la Sécu : à elles seules, elles ont représenté 28,3 milliards d’euros en 2011, relève l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS). De plus, les entreprises se désengagent, d’une manière ou d’une autre, du financement de la protection sociale. Plus de la moitié de celles qui sont condamnées pour accidents du travail ou maladies professionnelles ne paient pas les indemnités légales dues à la Sécu. Le manque à gagner s’élèverait à 20 millions d’euros par an, selon une estimation du gouvernement.

Des carences qui ont contribué à l’augmentation du déficit de la protection sociale (8,6 milliards d’euros en 2011) et, surtout, qui ont eu pour conséquence «  d’augmenter la part des frais médicaux restant à la charge de chacun », souligne le collectif Notre santé en danger : « Une telle dégradation conduit des millions de personnes à retarder, voire à abandonner les soins nécessaires ». Les enveloppes budgétaires réduites ont provoqué l’étranglement financier des hôpitaux et poussé des pans entiers de la Sécu vers les entreprises commerciales. Les compagnies d’assurances se sont ainsi félicitées de la généralisation du droit à l’accès à une complémentaire santé dans les entreprises, dans le cadre du récent accord sur l’emploi conclu entre le Medef et trois syndicats. La prise en charge des soins s’adresse cependant en priorité aux personnes solvables. Résultat : un accès de plus en plus difficile à cette solidarité pour une population précarisée.

La privatisation rampante du système solidaire de protection sociale au profit de l’assurance individuelle est depuis de nombreuses années promue par la Commission européenne. Celle-ci a, par exemple, présenté en 2011 une directive intégrant les services de Sécurité sociale obligatoires dans la passation de marchés publics pour les ouvrir à la concurrence [^2]. En décembre 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a demandé « l’exclusion expresse des services obligatoires de Sécurité sociale du champ de la directive ». Sans pour autant s’interroger sur les effets de sa politique d’austérité sur la Sécu.

[^2]: « Privatiser la Sécurité sociale : un vieux rêve de la Commission européenne », Thierry Brun, 17 octobre 2012, à lire sur le blog « Classe contre classe ».

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