Pêche : Une réforme sous influence ?

À l’occasion du vote prochain de la réforme de la Politique commune des pêches, un rapport associatif met en lumière la forte implication financière de fondations états-uniennes à la vision très libérale.

Patrick Piro  • 17 janvier 2013 abonné·es

L’année 2013 sera décisive dans le long processus de réforme de la pêche dans l’Union. En février, le Parlement européen votera sur les grandes orientations [^2]. En décembre dernier, sa commission Pêche les a ébauchées en adoptant un rapport proposant notamment d’atteindre d’ici à 2020 le « rendement maximum durable » (c’est-à-dire la reconstitution de leur « stock ») pour les espèces menacées par la surpêche, de mettre en place des plans de gestion par pêcherie, et de prendre l’engagement de régler le problème des rejets en mer [^3]. De nombreux travaux scientifiques suggèrent qu’entre la moitié et les trois quarts des espèces, de la Méditerranée à l’Atlantique Nord, sont prélevées au-delà de leur capacité à se renouveler. « Une décision courageuse […], un premier pas en faveur d’une pêche durable », a salué le WWF, bien que ses objectifs, comme ceux d’une majorité des ONG environnementales, soient plus ambitieux.

Cet optimisme mesuré n’est cependant pas partagé par tous. Le Collectif pêche et développement, siégeant à Lorient, qui défend les intérêts des petits pêcheurs face aux armements industriels, déplore ainsi la prééminence des objectifs de conservation des espèces sur la sauvegarde de la pêche artisanale, laquelle fournit des dizaines de millions d’emplois dans le monde. En novembre dernier, le Collectif publiait un rapport [^4] mettant en lumière l’influence de puissantes fondations environnementalistes anglo-saxonnes dans la réforme de la Politique commune des pêches (PCP). Elles auraient engagé des dizaines de millions de dollars depuis 2000, entre autres par le biais de subventions à de grandes ONG telles que le WWF, afin d’imposer à Bruxelles leur vision très libérale et conservationniste.

« Nous ne nions pas la nécessité de réformer la PCP, mais le problème complexe de la surpêche se trouve réduit à quelques slogans simplistes décrivant une catastrophe écologique, s’élève Alain Le Sann, président du Collectif pêche et développement. À terme, il s’agit de préserver l’intégrité des océans au prix de l’exclusion des pêcheurs, chargés de tous les maux. » Les fondations Packard, Moore, Walton Family, Pew ou Oak, citées par le rapport, défendent ainsi le modèle de conservation des espèces marines désormais en vigueur aux États-Unis, bâti autour de deux principes clés : l’attribution aux pêcheurs de « Quotas individuels transférables » (QIT) commercialisables, et la délimitation d’aires marines « Zéro pêche ».

La puissante ONG Environmental Defense Fund (EDF), sise à New York, est directement intervenue auprès de Bruxelles en faveur d’une marchandisation de l’accès aux ressources halieutiques dans l’ensemble de l’Union [^5]. Yan Giron, consultant indépendant et principal rédacteur du rapport accusateur, fait état de pressions de même ordre, issues du bureau états-unien de la fondation Oak, sur des ONG européennes qui auraient bénéficié de ses subsides. L’hypothèse d’une manœuvre idéologique dont le WWF serait le jouet irrite fortement Denis Ody, responsable du pôle « océan et côtes » de l’organisation. « Nous avons toujours été opposés aux QIT, qui se sont révélés contre-productifs pour la protection des ressources halieutiques là où ils ont été adoptés ! » Protestation similaire de Stéphan Beaucher, consultant indépendant auprès de Pew Environmental Group en Europe sur le dossier de la réforme de la PCP. « Par ailleurs, qui en France a été en mesure de financer un suivi par la société civile de la réforme de la PCP ? Le Collectif pêche et développement est-il gêné que des dollars permettent à des ONG d’intervenir dans un débat confisqué par les institutions européennes ? » Cependant, après des mois de tergiversations, la menace des QIT semble temporairement remisée, si l’on en croit les récentes orientations de la commission Pêche du Parlement européen. Mais, pour Yan Giron, la principale préoccupation vient du crédit croissant, auprès des décideurs, de l’autre « outil idéologique » états-unien : la création de zones d’exclusion des pêcheurs au motif de la reconstitution des stocks de poisson.

« L’Union vient de faire un pas vers l’imposition de purs critères écologiques pour encadrer l’accès à la ressource. À terme, on voit se profiler une mise sous coupe du secteur artisanal. » « De telles “aires marines protégées” sont une des solutions de protection, mais pas au détriment des communautés de pêcheurs », se défend François Chartier, responsable du dossier « océan » à Greenpeace. Une avancée : l’association soutient, avec le WWF, une Plateforme petite pêche artisanale française, créée en juin 2012 ^6, centrée sur l’utilisation de lignes, de casiers ou de pièges sur des bateaux de moins de 12 mètres. Alibi, juge pourtant Yan Giron. « Les environnementalistes tolèrent les captures à condition qu’elles soient dénuées d’impact et restreintes aux côtes. Cela revient à exclure de cette “pêche artisanale” tous les petits chalutiers non-industriels pourtant pourvoyeurs de milliers d’emplois. » On est encore loin d’une vision commune de la pêche de demain, respectueuse des mers et socialement acceptable.

[^2]: La Commission de Bruxelles et le Conseil européen sont aussi parties prenantes.

[^3]: Les poissons non désirés (jusqu’à 50 % des prises) sont rejetés à l’eau, morts en général.

[^4]: « Blue Charity-Business », www.peche-dev.org

[^5]: Le Danemark, l’Espagne, l’Islande, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ont déjà partiellement adopté des QIT.

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