Rythmes scolaires : pourquoi ça coince ?

La réorganisation des journées de travail des enfants occulte le débat plus général sur la refondation de l’école, et sa mise en oeuvre fait polémique. Explications.

Ingrid Merckx  • 17 janvier 2013 abonné·es

Première bizarrerie : la mesure la plus discutée de la loi sur la refondation de l’école n’a pas de valeur législative. En effet, pour la réforme des rythmes scolaires, un décret suffit. Son détail ne se trouve d’ailleurs pas dans le texte qui sera présenté par Vincent Peillon en conseil des ministres le 23 janvier, mais dans le rapport qui lui est annexé. Ce qui ne l’a pas empêché de venir occulter le débat plus général sur la refondation de l’école. Motif : cette réforme n’implique pas seulement la communauté éducative et les parents, mais aussi les communes. Or, les élus ont été sommés de statuer avant le 1er mars pour une entrée en vigueur dès la rentrée 2013 pour les communes volontaires et la rentrée 2014 pour les autres.

Deuxième bizarrerie : raccourcir la journée des petits Français – la plus longue de l’Union avec ses six heures – fait consensus, mais le texte ramenant la semaine dans le premier degré à 4,5 jours, présenté au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) le 15 décembre, n’a reçu que 5 voix pour, sur plus de 60 votants. « Ce qui devait être une réforme emblématique de la refondation se révèle une grande déception », résume le Snuipp, principal syndicat du premier degré. Alors, qu’est-ce qui coince ?

Quelle durée ?

Le décret propose de revenir à une semaine de 4,5 jours, le temps quotidien passant de 6 heures à 5 heures et 30 minutes. «   Tous les rapports et travaux sur la journée des enfants mettent en avant la nécessité de ne pas dépasser 5 heures par jour en primaire », rappelle la FCPE, principale fédération des parents d’élèves, qui s’est abstenue lors du vote au CSE. Une demi-heure en moins change-t-elle la donne ? « La réforme des rythmes scolaires fait figure de recette miracle, estime Sébastien Sihr, du Snuipp. Si changer l’emploi du temps suffisait contre l’échec scolaire, on signerait tous ! Mais le bien-être des élèves dépend aussi de la qualité de l’accueil, de la pause méridienne (cantine dans le calme), des locaux… On avait annoncé une grande réforme. Finalement, on gagne une demi-heure sans toucher aux grandes vacances ni à l’alternance semaines de congés-semaines de cours. »

Activités ou garderie ?

« Des temps scolaires plus courts pour des temps éducatifs nouveaux », avait promis le gouvernement. Ces derniers se retrouvent à la charge des communes, qui doivent trouver en quelques mois comment organiser des activités artistiques culturelles et sportives pour les élèves. Problème : si les plus riches disposent de l’ingénierie nécessaire, les autres risquent de se contenter de garderies. « Le bricolage avancé n’offre aucune garantie d’un périscolaire gratuit et de qualité pour tous », prévient le Snuipp.

Mercredi ou samedi ?

La demi-journée supplémentaire sera le mercredi matin, sauf dérogation, « mais personne n’a envie de revenir sur le week-end de deux jours », souligne Sébastien Sihr. Les enseignants devront donc reprendre le chemin de l’école le mercredi. Dans une profession qui compte 80 % de femmes, ça ne coule pas de source : celles-ci vont devoir trouver une solution de garde pour leurs enfants non scolarisés, et assumer le surcoût engendré. En outre, cela signifie un trajet en plus pour ceux qui habitent loin de leur lieu de travail. Au final, le temps de service hebdomadaire de 24 heures ne changera pas, assure un projet de circulaire paru tardivement, le 10 janvier, et l’aide personnalisée (AP) est remplacée par des activités pédagogiques complémentaires (APC). Mais la réforme se fait sans revalorisation salariale.

Égalité garantie ?

« L’impact financier sur les communes n’a pas été évalué », proteste l’Association des maires de France (AMF) dans un communiqué du 11 janvier. Favorables à la réforme, les élus ont reporté l’examen du décret en réclamant des précisions sur la répartition de la prise en charge entre l’Éducation nationale et les communes, et le contenu du « projet éducatif territorial ». Ils ont aussi souligné que la date d’entrée en vigueur de la réforme devait « relever d’un consensus » entre mairies et académies. Côté budget, le compte n’y est pas : 250 millions d’euros doivent être affectés aux communes pour encaisser le choc (activités périscolaires et transports). Mais ce fonds est réservé à celles qui appliqueront la mesure en 2013, soit environ 50 %, et il est ponctuel quand les dépenses seront durables. Le gouvernement aurait calculé de 50 à 90 euros annuels par élève selon les zones. « Si on fait le total, on obtient 400 millions », relève Sébastien Sihr. Certains envisagent donc déjà d’assouplir les taux d’encadrement en centre de loisirs. Dans sa lettre à l’AMF, le Snuipp rappelle enfin l’importance de s’appuyer sur les conseils d’école (réunissant parents, enseignants et élus) pour articuler une « journée cohérente » et trouver de quoi garantir « l’égalité territoriale ».

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