D’où viennent-ils et qui sont-ils ?

En France, les immigrés chinois s’assemblent et s’intègrent en fonction de leur région d’origine.

Lena Bjurström  • 7 février 2013 abonné·es

Décembre 2012. L’Association des jeunes Chinois de France (AJCF), avec SOS Racisme, assigne le Point en justice pour insulte raciale. En cause, un dossier jugé « insultant » par les clichés véhiculés. C’est la première fois que des Français d’origine chinoise portent plainte contre un média. Selon Rui Wang, porte-parole de l’AJCF, les Chinois, longtemps perçus comme des immigrés modèles, souffrent aujourd’hui de la crainte qu’inspire leur pays sur la scène internationale. À Paris, certains quartiers, petits « chinatowns », cristallisent les fantasmes. Dès les années 1960 et l’arrivée de Chinois dans le XIIIe arrondissement, un sentiment d’invasion se développe. Un sentiment raillé par Georges Lautner et Michel Audiard dans les Barbouzes, sorti en 1964. On y voit Lino Ventura, Francis Blanche et Bernard Blier tentant de résister à un complot asiatique. Férus de technique moderne, entre oreillettes, caméras et systèmes d’enregistrement, les « Chinois » sont évidemment petits et vêtus de kimonos, mais surtout ils sont toujours plus nombreux. Les trois héros n’arrivent pas à venir à bout des assauts de ces hommes qui se multiplient et semblent affluer à la vitesse de 24 images par seconde, comme au cinéma… Les décennies et les migrants se succèdent, mais l’idée demeure. Estimée à quelque 600 000 âmes aujourd’hui, la population chinoise de France est pourtant loin d’être homogène. On y distingue essentiellement trois origines, auxquelles viennent s’ajouter d’autres, minoritaires. Entre les Chaozhou, Chinois d’Indochine, les Wenzhou, paysans du Sud, et les Dongbei, citadins du Nord, un monde existe, tant le parcours migratoire et l’intégration dans la société française diffèrent. Les Chaozhou tiennent leur nom d’une ville du sud que la plupart d’entre eux n’ont jamais connue. Chinois de la diaspora en Indochine, ils étaient majoritairement urbains, commerçants et intellectuels. Dans les années 1970-1980, ils fuient l’arrivée au pouvoir des communistes en Asie du Sud-Est. Ils partent pour Paris, où la plupart d’entre eux obtiennent le statut de réfugiés puis la nationalité française. Leur intégration dans la société est plus aisée que pour d’autres, tant par leur situation légale que par une langue et une culture françaises qu’ils connaissent déjà. Ceux dont les diplômes ne sont pas reconnus se lancent dans le commerce, à l’instar des frères Tang, propriétaires de la chaîne de supermarchés du même nom. Disséminés dans la société française, nombre d’entre eux ont aujourd’hui quitté la capitale pour la banlieue et le commerce pour d’autres professions.

Illustration - D’où viennent-ils et qui sont-ils ?


Pour les Wenzhou, en revanche, la communauté semble être la source de l’intégration. Nés en Chine, non loin de cette ville du sud dont ils reprennent le nom, ce sont pour la plupart des paysans quittant leur village pour la France et l’espoir d’une ascension sociale. Pourquoi la France ? Parce que, souvent, un oncle ou un cousin déjà installé avance la somme du voyage. Cette migration remonte au début du XXe siècle et connaît un pic dans les années 1980-1990. La plus importante population d’origine chinoise d’Europe s’est ainsi formée, selon une chaîne migratoire sans cesse renouvelée. Arrivé à Paris sans papiers et surtout sans connaissance de la langue française, le nouveau venu évolue au sein de la communauté wenzhou, avec laquelle il habite, échange et surtout travaille. Il vient ainsi grossir les rangs des journaliers employés au noir dans le cadre d’une « économie ethnique » proche de l’exploitation, mais rarement interprétée comme telle par ceux qui en sont issus. Le migrant doit économiser pour rembourser son voyage, une dette s’élevant de 8 000 à 20 000 euros. Et la communauté lui fournit un travail que sa condition illégale ne lui permet pas d’obtenir. Après l’obtention de la nationalité française, au bout de dix ans, c’est également auprès de ses proches qu’il emprunte pour monter sa propre affaire. L’installation est ainsi associée à une nette ascension sociale, de la terre au commerce, qui prend ses sources au sein d’une économie et d’une solidarité communautaires. Une entraide dont les Dongbei sont nettement moins bénéficiaires. Ce n’est pas seulement un fossé culturel qui les sépare des Wenzhou, mais aussi une fracture sociale. Plus récente, leur migration en France commence à la fin des années 1990. Le nord de la Chine, dont ils sont originaires, connaît alors une importante crise économique à la suite de l’abandon par l’État chinois des industries lourdes de la région. Citadins instruits, les Dongbei sont majoritairement des femmes qui cherchent à rebondir économiquement après un licenciement, ou une faillite. Ces quadragénaires, souvent seules et endettées, se font peu d’illusions sur leur situation au pays. Pour autant, elles n’envisagent pas un exil définitif mais temporaire, le temps de gagner assez d’argent pour rembourser leurs emprunts, payer les études d’un enfant ou monter une affaire.

Un obstacle souvent méconnu sépare les immigrés chinois selon leur origine géographique : la langue. Dans ce pays aussi étendu qu’un continent, le mandarin (langue officielle, plus connue sous le nom de « chinois ») n’est pas parlée par tous et l’on recense plusieurs centaines de dialectes parfois très différents. Les Wenzhou parlent ainsi une langue spécifique, le wenzhounais, proche de la langue de Shanghai, que d’autres Chinois comprennent très mal. Originaires de la campagne, et pour n’avoir guère fréquenté l’école et la ville, ils sont peu nombreux à maîtriser le mandarin. Les Dongbei, en revanche, citadins et éduqués, parlent parfaitement la langue officielle. Et cette qualité fait des femmes dongbei des nourrices recherchées par les Wenzhou qui désirent enseigner le mandarin à leurs enfants. Les Chaozhou, Chinois de la diaspora, ont quant à eux conservé le dialecte de leur région d’origine, le fujian, bien que peu d’entre eux aient jamais vécu en Chine.
Tout comme les Wenzhou, l es Dongbei découvrent en France les difficultés des clandestins. La plupart du temps arrivées avec un visa Schengen, les migrantes du nord doivent l’argent du voyage à leurs proches en Chine, et demeurent isolées en France. Au sein des autres familles chinoises, elles trouvent un emploi de domestique ou de garde d’enfant. Un travail mal rémunéré que certaines refusent pour se tourner vers la prostitution. À terme, peu d’entre elles restent en France. À Paris, dans le quartier de Belleville, les chemins des Chaozhou, des Wenzhou et des Dongbei se croisent parfois mais se suivent rarement. S’il y a communauté, elle semble fragile et peu soudée. D’autant que, sur bien des points, les jeunes générations s’en détachent. Les enfants Wenzhou, nés en France ou arrivés à l’adolescence, reprennent parfois le commerce et les relations familiales, mais nombre d’entre eux suivent un parcours différent, parfois en dépit de la réticence de leurs parents. Malgré les liens familiaux, le fossé se creuse entre les générations. Et, pour ces jeunes qui ont grandi en France, la culture du pays d’accueil se mêle à celle de leurs parents.

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