Farines animales : Personne n’en veut, mais…

L’autorisation par Bruxelles des protéines de porc et de volaille en pisciculture provoque une levée de boucliers généralisée en France. Pourtant, leur intérêt économique est évident.

Patrick Piro  • 28 février 2013 abonnés

En déclarant samedi dernier, au Salon de l’agriculture, que la France « s’oppose aux farines animales […] et ne les introduira pas », François Hollande s’est employé à calmer l’agitation soulevée par l’annonce de la Commission européenne, début février, d’autoriser à partir de juin les protéines de porc et de volaille pour l’alimentation des poissons d’élevage.

Le Président jouait sur du velours : alors que le scandale des lasagnes à la viande de cheval sème la panique dans l’agro-industrie européenne, personne en France ne montre le moindre appétit pour l’offre bruxelloise. «  Ces matières premières, interdites à la suite de la crise de la vache folle, auraient dû le rester », affirme l’association de consommateurs CLCV. Les ministres rappellent que la France avait « voté contre » la proposition. La FNSEA, premier syndicat agricole, n’est « pas favorable à un tel retour, sans conditions ». Et « notre charte de qualité exclut les produits d’animaux terrestres », souligne le Comité interprofessionnel des produits de l’aquaculture (Cipa), dont les décisions « ne se prendront que sur la base d’un consensus sociétal et uniquement avec des garanties de traçabilité totale ». Soulagement, pour Marc Lamothe, président du Cipa : « La position de François Hollande soutient clairement notre orientation. » En réalité, il s’agit surtout de rassurer les consommateurs, car rien n’indique que les vertueuses intentions des décideurs français puissent être appliquées. Tout d’abord parce que l’industrie de l’abattage, qui n’a pas de comptes directs à rendre aux consommateurs, voit d’un très bon œil ces « protéines animales transformées » (PAT), terme que la profession veut imposer. Elles n’ont plus rien à voir avec les farines animales du passé, rappelait en 2011 le SNIV-SNCP (les entreprises françaises des viandes), dont les membres traitent entre 70 et 95 % de l’abattage des bœufs et des porcs en France. La matière première est « sécurisée ». Elle doit provenir de bas morceaux issus d’animaux sains abattus pour la consommation humaine, à l’exception de parties considérées « à risques » (moelle épinière, cervelle, etc.). De plus, Bruxelles a exclu des PAT la viande de ruminants – source potentielle de la maladie de la vache folle (ESB) – ainsi que le « cannibalisme » : pas de farine de porc dans les auges des cochons, pas de granulés de volaille dans les mangeoires des poules, etc. En 2007, un rapport de l’agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) concluait que le risque de transmission de l’ESB aux volailles nourries avec des protéines de porc était « négligeable ».

Dès lors, l’intérêt de ces PAT est flagrant, argumente le SNIV-SNCP. Car, depuis l’interdiction des farines animales en 2001, les élevages d’omnivores comme les porcs et les volailles ont dû se rabattre sur des protéines végétales pour compléter les rations, à grand renfort de coûteuses importations de soja du Brésil ou des États-Unis, « un non-sens écologique »  ! Mais, par temps de crise des lasagnes, les élans promotionnels ont fait place à la prudence. François Cassignol, responsable de la communication au SNIV-SNCP, indique que le marché des PAT de porc ne représenterait « rien » pour les abatteurs, car « tout ou presque se recycle dans l’animal ». C’est différent dans la filière volaille, où Christian Marinov, chargé de communication à la Confédération française de l’aviculture (CFA), estime que les sous-produits pourraient fournir quelque 200 000 tonnes de PAT par an. Alors qu’il en coûte 200 euros par tonne pour l’incinération des déchets animaux, sauf si un cimentier les accepte gratuitement – les graisses sont un combustible apprécié par cette industrie très énergivore. « Mais, pour nous, l’enjeu n’est pas là, c’est la nutrition des élevages », s’agace-t-il.

Un rapport de 2010 issu du ministère de l’Agriculture [^2] calculait que le retour des protéines animales pourrait accroître la marge des éleveurs de plus d’un centime par kilogramme de volaille, en apparence minime mais d’un intérêt certain tant la concurrence est rude dans ce secteur. Et particulièrement pour les dindes, qui supportent mal le régime 100 % végétal. Autoriser leur alimentation aux PAT de porc ? La question est à l’étude à Bruxelles. Les professionnels redoutent cependant que la barrière de l’interdit « halal » les pénalise. Chez les pisciculteurs, la tension sur l’approvisionnement en protéines pour les poissons carnivores « n’est un secret pour personne, car la demande du secteur de l’aquaculture est en forte croissance », commente Marc Lamothe. En 2008, 46 % des 115 millions de tonnes de poissons destinés à l’alimentation humaine provenaient des élevages, contre 15 % il y a vingt ans. La filière française, modeste avec 50 000 tonnes par an, complète ses tourteaux végétaux par des farines de poissons (à 15 % environ), et semble miser sur la recherche agronomique pour influer sur le régime des poissons d’élevage plutôt que d’espérer des jours plus favorables aux farines d’animaux terrestres. Cependant, la pression extérieure pourrait être décisive. La position de François Hollande n’a pas pouvoir d’empêcher la libre circulation des farines animales autorisées par la Commission. La proposition hâtive de la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, d’instaurer un label « poisson nourri sans farine d’animal terrestre » n’aura pas de portée sur les importations massives de saumon (le poisson le plus consommé) issu d’élevages où l’on n’aura pas de réticences envers les PAT de porc ou de volaille.

À leur propos, notait le rapport du ministère de l’Agriculture, « la question de l’acceptabilité par le consommateur peut se poser ; cependant, on note que ce n’est pas un frein à l’acte de consommation des produits équivalents importés ». Qui demandera l’étiquetage « nourries sans protéines animales » pour les dindes ? Et comment soutenir les éleveurs de porc et de volaille français concurrencés par des producteurs étrangers, et bientôt issus de l’Union, ayant le droit d’utiliser ces PAT bon marché ? Tôt ou tard, le dossier des farines animales devrait se rouvrir, par une petite porte de préférence.

[^2]: Compétitivité de la filière volailles de chair française, http://agriculture.gouv.fr.

Écologie
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