Hébron, capitale de l’apartheid

Des manifestations ont éclaté dimanche dans la grande ville du sud de la Cisjordanie après la mort d’un prisonnier. L’agglomération est le lieu de toutes les discriminations envers les Palestiniens.

Denis Sieffert  • 28 février 2013 abonné·es

La mort, samedi, d’un Palestinien dans la prison de Meggido (au nord d’Israël), où il était détenu depuis le 18 février, a donné lieu à plusieurs manifestations durement réprimées par l’armée israélienne. Arafat Jaradat, 30 ans, serait décédé d’un malaise, si l’on en croit la version israélienne, alors qu’il venait de subir des interrogatoires conduits par le Shin Beth [^2], le service de sécurité. Cette version n’a évidemment guère convaincu, d’autant qu’une autopsie a révélé des fractures qui, selon les services officiels, auraient été causées par « les efforts pour ranimer » le prisonnier. L’association israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a exigé l’ouverture d’une enquête « indépendante, transparente et rapidement conclue ». Dimanche, quelque 4 500 prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes ont observé une grève de la faim par solidarité. Et plusieurs manifestations ont eu lieu, notamment à Sé’ir, dans la banlieue d’Hébron. Car c’est une nouvelle fois de la grande ville du sud de la Cisjordanie, que tout est parti. Arafat Jaradat avait été arrêté alors qu’il participait à une manifestation près de la colonie israélienne de Kiryat Arba. Une des manifestations sporadiques organisées pour protester contre une nouvelle interdiction imposée aux Palestiniens d’accéder à une rue ou contre la fermeture forcée de magasins. Il est difficile, lorsqu’on traverse Hébron, de ne pas prononcer le mot le plus redouté des autorités israéliennes : apartheid. La contiguïté entre Hébron (200 000 habitants) et, à l’est, la colonie de Kiryat Arba, et plus encore, l’existence, depuis 1979, d’une colonie de 600 habitants, nichée comme un défi permanent au cœur de la ville, fait de cette agglomération le lieu de toutes les discriminations à l’encontre de la population palestinienne.

Sous la protection d’une armée omniprésente, les colons, animés par un sentiment de haine anti-arabe, déversent du haut de leurs immeubles des monceaux d’immondices qui s’accumulent dans des filets de protection sommairement installés au-dessus du souk et des ruelles de la vieille ville. Les abords de la colonie sont hérissés de chevaux de frise et de murs de protection qui fracturent le quartier historique en plusieurs zones. Les miradors et les caméras donnent davantage l’impression d’une prison à ciel ouvert que d’une des villes les plus importantes de Cisjordanie. L’agglomération est divisée en deux zones, dite H1, la ville arabe, et H2, où vivent les colons. Les rues qui conduisent au tombeau des Patriarches, lieu de culte partagé par les musulmans et les juifs, sont marqués au sol par des lignes jaunes imposant littéralement aux Palestiniens de raser les murs. La population arabe, à l’approche de la mosquée, est contrainte de se soumettre à des contrôles tatillons de l’armée.

Pour assurer la protection des colons, des dizaines de boutiques et d’échoppes ont été fermées. Leurs serrures ont été cadenassées et soudées. Des habitants ont été expulsés. Ceux qui résistent sont soumis à un harcèlement permanent. D’où un dramatique appauvrissement de la population arabe. D’autant plus que, dans un tel climat, les touristes se font rares dans le souk voisin. Le paradoxe est que cette situation d’apartheid – le mot est ici rigoureusement descriptif – a été en grande partie consécutive au massacre de vingt-neuf musulmans en prière par un extrémiste juif, Baruch Goldstein, en 1994. Les événements d’Hébron interviennent dans un climat déjà explosif dû au sort des prisonniers palestiniens. Plusieurs d’entre eux poursuivent une grève de la faim de longue durée. Trois de ces grévistes, Jaafar Ezzeddine, Tariq Qaadane et Aymane Charawneh, ont été transportés vendredi à l’hôpital. Dimanche, une importante manifestation a été organisée par le Hamas à Gaza. Les autorités israéliennes craignent tant la généralisation du mouvement qu’elles ont annoncé le même jour le versement des taxes prélevées pour le compte de l’Autorité palestinienne. « Afin, a déclaré un porte-parole du gouvernement, que le non-paiement des taxes ne serve pas d’excuse à l’Autorité palestinienne pour ne pas calmer le territoire. » Le mot est d’une cruelle ironie quand on sait qu’Israël avait bloqué le versement de différentes taxes douanières et impôts qui reviennent de droit à l’Autorité palestinienne, et ce en représailles à l’accession de la Palestine au statut d’État observateur à l’ONU.

[^2]: Voir l’article de Jean-Claude Renard sur The Gatekeepers , le documentaire de Dror Moreh consacré au Shin Beth, en p. 18.

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