Hélène Labarrière, contrebassiste : « Sur scène, on partage le pouvoir »

La contrebassiste Hélène Labarrière signe Désordre, un album de jazz « libertaire ».

Lorraine Soliman  • 14 février 2013
Partager :

Hélène Labarrière fait partie de cette génération née juste à temps pour bénéficier d’un apprentissage à l’ancienne, sur le terrain d’une scène jazz parisienne alors florissante, au contact des plus grands : Slide Hampton, Art Farmer, Lee Konitz (avec qui elle enregistre son premier album), Daniel Humair… La découverte de Charlie Haden et de sa pratique libertaire de la contrebasse lui ouvre d’autres horizons. Leader à son tour, elle multiplie les expériences transdisciplinaires et les rencontres inattendues, de Montreuil au Mali, de la musique contemporaine (Ars Nova) à la chanson réaliste (Violaine Schwartz), du théâtre engagé (Mohamed Rouabbhi) au slam/rap en colère (D’ de Kabal), de l’improvisation la plus free à la musique bretonne traditionnelle (les frères Molard)… Avec Désordre, Hélène Labarrière signe son deuxième opus à la tête d’un quartet créé au début des années 2000 avec François Corneloup (saxophone baryton), Hasse Poulsen (guitare) et Christophe Marguet (batterie). Elle raconte son parcours et ses engagements avec la simplicité et l’évidence des artistes de conviction.

« Désordre révèle une musicienne apaisée  », a écrit le critique Stéphane Ollivier. Qu’en dites-vous ?

Hélène Labarrière : Apaisée, j’espère ! J’ai atteint un âge où l’on est censé avoir réglé un certain nombre de problèmes professionnels et personnels. J’espère que ça s’entend ! J’ai commencé à jouer très jeune, avec peu de connaissances et peu de technique, dans les clubs parisiens, du jazz traditionnel, du bebop, des standards, et à un moment j’ai eu besoin d’être plus en phase avec ma génération et avec l’endroit où j’habitais, la France. Je suis allée vers des musiques de plus en plus improvisées. Aujourd’hui, j’ai réconcilié ces deux grandes étapes. Je suis revenue vers certaines notions qui avaient disparu de ma musique, la mélodie, le rythme, le groove.

Cela fait-il partie des grands axes de votre travail en quartet ?

Oui, bien sûr. Quand nous nous sommes choisis pour travailler ensemble, on avait tous les quatre une manière de se jeter dans la musique qui était semblable, très énergique, physique et sensuelle, presque rock’n’roll. Pas cérébrale ni intellectuelle. On aimait bien transpirer sur scène !

Pourquoi avoir intitulé ce nouvel album Désordre  ?

Ce titre est inspiré d’un livre de Normand Baillargeon, l’Ordre moins le pouvoir. Histoire et actualité de l’anarchisme [Agone, 2008, NDLR]. « Désordre », c’est aussi à entendre comme un non-ordre. Et ça correspond un peu à notre manière de jouer ensemble, sans ordre établi, en partenariat et en toute solidarité. Le pouvoir, il peut se donner, se prendre, se partager. Il y a une grande confiance entre nous, et on est prêts à ce qu’il se passe n’importe quoi.

Votre collaboration avec Marie-Ange Martin, Micheline Pelzer et Dominique Borker au sein des Ladies First, en 1983, avait-elle quelque chose à voir avec un engagement féministe ?

Absolument pas ! J’ai très vite été contre le fait de créer des groupes de femmes, alors que plein de gens me poussaient à le faire. « Ok, il n’y a pas beaucoup de femmes dans cette musique, restez donc entre vous »  : c’est comme ça que je l’ai entendu et c’est contre ça que j’ai lutté. J’ai refusé beaucoup de projets où l’on m’appelait parce que j’étais une femme. C’est presque humiliant.

La musique doit-elle servir une cause ?

Non, ce qui sert une cause c’est l’engagement militant, manifester, faire une grève. Le combat a besoin d’actions concrètes. La musique est abstraite. Mais la manière de jouer, dans le jazz en tout cas, montre qu’un autre monde est possible. Quand on fait de la musique ensemble, on est dans un partage du pouvoir, dans un partage des rôles. On peut travailler en groupe sans avoir de chef et sans avoir à répondre à des demandes précises, mais en étant toujours une force de proposition et d’action. S’il y a une subversion et un militantisme dans la musique, c’est bien là.

Désordre, Innacor, 2012. En concert : Le 19 février en quartet au festival Sons d’hiver (Saint-Mandé). Le 5 mars en duo avec Violaine Schwartz à l’Atelier du plateau (Paris XIXe). Le 8 mars avec le quartet de Jacky Molard (Hélène Labarrière, le saxophoniste Yannick Jory, l’accordéoniste diatonique Janick Martin) à l’Arrosoir (Chalon-sur Saône).
Musique
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don