Mali : Comment s’en sortir ?

La troisième phase de l’intervention française est politiquement la plus hasardeuse parce qu’elle est sans limites.

Denis Sieffert  • 7 février 2013 abonné·es

La France doit aller « jusqu’au bout » de l’opération pour « détruire les réseaux terroristes ». Ce n’est pas François Hollande qui parle ainsi, mais Tiéman Coulibaly, le ministre malien des Affaires étrangères. Le discours est aussi redoutable par son contenu que par l’identité politique de celui qui le tient. Il donne en effet à la poursuite de l’intervention française une apparence de légitimité. Et le Président Hollande lui a fait écho, samedi, en affirmant que « la France restera […] le temps qu’il faudra, c’est-à-dire le temps que les Africains eux-mêmes prendront pour nous remplacer ». En l’absence d’objectifs clairs ou, plus exactement, d’objectifs réalisables, on peut se demander où conduit cette proclamation. Après une première phase, que nous avons approuvée, consistant à barrer la route de Bamako aux jihadistes, et une deuxième phase conduisant à les chasser des villes du centre et du nord, Tombouctou, Gao et Kidane, la troisième séquence, ouverte dimanche, apparaît nettement plus hasardeuse. Militairement, il s’agit de traquer les jihadistes réfugiés dans le massif des Ifoghas, au nord-est du pays, non loin de la frontière algérienne. Des bombardements de cette zone très vaste se multiplient pour, nous dit-on, priver les jihadistes de ravitaillement, notamment en carburant. Le terrain est cette fois « miné » : une surface désertique grande comme la moitié de la France, un fort relief, et la promesse d’une guerre sans fin. Un petit Afghanistan en somme.

Mais cette troisième phase s’accompagne aussi d’un retour de la rhétorique très « néoconservateurs » d’éradication du terrorisme. Or, c’est se méprendre sur l’origine profonde de certains mouvements qui ont épousé la cause touareg, comme Ansar Eddine, et qui ne viennent donc pas de nulle part. Sans parler du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui a rompu avec les mouvements jihadistes après avoir noué une alliance tactique avec eux. Le discours sur la « guerre au terrorisme » (voir Politis n° 1236) constitue un déni des problèmes politiques. Pour reprendre l’expression d’Olivier Roy [^2], cette guerre « conforte le paradigme du choc des civilisations et de la menace islamique ». Or, la « menace islamique » s’ancre dans une réalité sociale et politique. En l’occurrence, pour une large mesure dans la question touareg. Si celle-ci n’est pas prise en compte, si la question sociale n’est « résolue » que par des narcotrafics en tout genre, la guerre au terrorisme risque d’être vaine.

Il serait évidemment injuste de prétendre que Laurent Fabius et François Hollande n’ont pas conscience de cette réalité. La France a insisté, lundi, sur la nécessité d’un rétablissement des institutions démocratiques issues d’élections « transparentes », et la mise en place d’une politique de développement, en particulier dans le nord du pays. Le régime de Bamako, allié aujourd’hui enthousiaste de la France, risque d’être beaucoup moins chaud pour ce retour à la politique, même si Paris a annoncé la reprise de l’aide publique au développement, interrompue après le coup d’État militaire du 22 mars 2012. À supposer que de réels efforts soient consentis dans ce sens, il reste à gérer la transition. Ce devrait être la tâche des forces africaines de la Misma, placées sous responsabilité de l’Onu. Mais celle-ci n’est pas près de pouvoir remplacer l’armée française. Plus improbable encore, la résolution du problème touareg qui fait intervenir tous les États de la région peu enclins à négocier des formes d’autonomie qui empiéteraient sur leur territoire. Bref, s’il faut faire la guerre et occuper militairement le pays en attendant des solutions politiques qui ne feront plus consensus dans la région, cela risque d’être long et périlleux. Tiéman Coulibaly a déjà exprimé ses réticences pour une présence africaine de « maintien de la paix », et l’on s’orienterait vers l’installation à Bamako d’une base française « d’intervention rapide ». Redoutable perspective !

[^2]: Tribune dans le Monde daté du 5 février.

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