Mali : plus de réfugiés, moins de refuges

Les dizaines de milliers de Maliens jetés sur les routes par le conflit s’ajoutent aux millions de personnes auxquelles porte déjà secours le Haut Commissariat pour les réfugiés dans 125 pays. Une mission que cet organisme des Nations unies a de plus en plus de mal à remplir.

Claude-Marie Vadrot  • 14 février 2013 abonné·es

L’occupation du nord du Mali par les groupes jihadistes aurait provoqué en un an un exode massif de quelque cent mille personnes vers les pays voisins, selon le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR). D’autres les ont rejointes au moment de l’intervention française, de crainte des bombardements et d’éventuels combats. Actuellement, ce sont 64 000 Maliens qui ont trouvé refuge en Mauritanie, 52 000 au Niger, 43 000 au Burkina Faso et quelques milliers en Algérie et dans d’autres pays limitrophes. Comme l’insécurité demeure devant la perspective de nouveaux affrontements et d’éventuelles incursions des groupes armés islamistes, le flot des réfugiés, Africains et Touaregs mêlés, se poursuit en dépit des efforts infructueux des Nations unies pour les rassurer et les inciter au retour. Le HCR a donc lancé, le 25 janvier, un appel aux dons des pays membres des Nations unies. Ses experts, sur place depuis plusieurs mois, envisagent sérieusement qu’il leur faudra, dans les semaines à venir, dresser des camps de toile pour au moins 400 000 réfugiés supplémentaires, et qu’il sera probablement nécessaire de renforcer les secours, voire d’installer des camps, pour 300 000 personnes déplacées à travers le Mali. Éventuellement au nord, mais surtout dans la partie sud du pays.

Quand un pays ou une région sont le théâtre d’un conflit armé interne ou d’une guerre, le HCR est le seul organisme international habilité à organiser l’aide aux civils fuyant des combats. Cette agence des Nations unies, opérationnelle depuis 1951, est tenue de faire la différence entre des civils qui franchissent une frontière, réfugiés qui sont alors sous sa protection, et ceux qui se déplacent à travers une nation en proie à un conflit. Ces derniers, sauf en cas de déliquescence du pouvoir, restent sous la protection de leur pays. Distinction juridique qui n’exclut pas pour ces derniers une aide, médicale ou alimentaire, de la part du HCR si le pays concerné donne son accord. La mise en place de camps destinés aux réfugiés contraints à l’exil doit faire l’objet d’un accord préalable de la part du pays où ils sont dressés. Mais la gestion, la protection et l’établissement de documents de circulation pour les personnes résidant dans les camps restent de la seule responsabilité des Nations unies. Et aucun État d’accueil n’a le droit d’expulser un réfugié contre sa volonté ou celle des Nations unies.

À la suite du conflit qui a opposé, en 2008, les Géorgiens aux Russes et a entraîné la fuite de milliers d’habitants de l’Ossétie du Sud, annexée par la Russie, le HCR, l’ONG française Première Urgence et le gouvernement de la Géorgie ont mis en oeuvre une idée qui pourrait être reprise pour faciliter à la fois la vie et le reclassement des réfugiés dans une société nationale. Plutôt que de dresser des camps de toile où le chauffage est aléatoire, ils ont construit en un temps record des petites maisons dotées d’un confort minimum.

Puis ils ont proposé à tous les volontaires un jardin pour cultiver légumes et fruits. Pour les plus entreprenants, des surfaces à cultiver plus grandes ont été mises à disposition. Pas seulement pour l’autoproduction, mais aussi pour vendre le produit de ces parcelles sur les marchés des environs. Tous ont bénéficié d’une dotation de graines deux années de suite, et de conseils pour ceux qui n’étaient pas d’origine paysanne. Le même système, appliqué à une plus petite échelle en Abkhazie, a fort bien fonctionné et contribué à ce que les réfugiés se sentent moins assistés.

Le HCR a donc réitéré son appel au secours pour au moins deux raisons. D’abord parce que l’expérience montre que, dans la plupart des cas, les camps de réfugiés perdurent des années, même lorsque les conflits sont officiellement terminés ; et ensuite parce que le nombre de camps dans le monde augmente régulièrement. Dans l’histoire récente, on ne compte guère que deux exceptions : les dizaines de milliers de réfugiés kosovars en Albanie et en Macédoine, lors de l’intervention des militaires de l’Otan contre les Serbes en 1999, et 70 % des 660 000 civils libyens qui se sont réfugiés en Tunisie, pendant la guerre civile et les bombardements de 2011, sont retournés chez eux en l’espace de quelques mois. Un dénouement d’autant plus rare que ceux qui ont fui leurs pays ne sont pas toujours les bienvenus quand ils y reviennent. D’autres ne disposent d’aucun espace pour effectuer ce retour, à l’exemple des réfugiés palestiniens qui vivent dans le nord de Gaza ou en Jordanie. D’autres encore, comme les centaines de milliers de réfugiés palestiniens et leur descendance qui vivent en Syrie depuis très longtemps, sont parfois contraints à un second exil en raison d’un nouveau conflit. Vers la Turquie, le Liban ou la Jordanie. Les doubles exils ne sont pas rares et doivent être pris également en charge par le HCR.

Alors que le budget du HCR était de 300 000 dollars lors de sa création, son budget pour 2012 s’élevait à 3,6 milliards de dollars, dont un faible pourcentage consacré à ses 7 600 salariés répartis dans 126 pays. Mais comme cette agence n’a pas de budget propre, sauf pour ce fonctionnement administratif alimenté par les Nations unies, elle doit faire appel à des contributions volontaires des États membres, qui représentent en moyenne 93 % de ses ressources. Les donateurs ont évidemment tendance à choisir leurs « bons » réfugiés. L’inflation budgétaire s’explique facilement : le HCR gérait, début 2011, 10,4 millions de réfugiés et 15,5 millions de personnes déplacées. Si l’on inclut les déracinés pour lesquels il intervient au moins en partie, le chiffre total atteint 42,5 millions. 12 millions d’entre eux, originaires de 64 pays, ont officiellement un statut d’apatride. Les déplacés de l’intérieur, au statut et à la condition la plus fragile, sont de plus en plus nombreux, et les deux courbes, réfugiés/déplacés, se sont croisées en 2005.

Le signe que les pays limitrophes des zones de conflit sont de plus en plus réticents à accueillir des camps. Parce qu’ils représentent un poids politique, social et économique dans les pays du Sud, qui abritent 80 % des réfugiés du monde. Bien que des ONG humanitaires, sur le court et le long termes, s’associent à la gestion des camps du HCR, la vie y est souvent très difficile. Malgré la participation d’un autre organisme onusien, le Programme alimentaire mondial (PAM), créé en 1963 pour lutter contre les famines, les installations de réfugiés ne parviennent pas toujours à assurer correctement l’alimentation en produits de première nécessité des familles hébergées. Il faut également régler les questions d’habillement, les problèmes sanitaires, l’alimentation en eau et l’aide médicale pour des camps qui hébergent souvent plusieurs dizaines de milliers de personnes. D’autre part, comme 46 % des réfugiés du HCR ont moins de 18 ans, les camps doivent veiller à organiser un minimum d’éducation scolaire dans les langues d’origine.

Dans ces installations, en général, les réfugiés ne reçoivent aucun combustible pour faire la cuisine, voire pour se chauffer quand ils passent l’hiver sous la tente dans des régions froides. Situation qui les contraint à prospecter autour des camps pour trouver du combustible. Avec pour conséquences la fragilisation des forêts ou des écosystèmes alentour. C’est le cas au Pakistan, où vivent encore 1,7 million d’Afghans réfugiés qui coupent les arbres autour de leur camp, ou bien au Tchad, où les réfugiés du Darfour, encore près de 300 000 répartis dans une douzaine de camps, coupent les derniers arbres et buissons de la savane arbustive où ils sont installés. Cette cueillette, perceptible dans le paysage une quinzaine de kilomètres avant l’arrivée aux camps, contribue à l’avancée du désert et à l’assèchement des oueds. Alors que le nombre des réfugiés, anciens, oubliés ou nouveaux, continue à augmenter, le HCR a de plus en plus de difficultés pour leur venir en aide, et les voisins du Mali ont déjà fait savoir qu’il existait une limite à leur hospitalité.

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