Pourquoi les contrôles ont échoué

Les organismes de surveillance manquent d’efficacité face à la multiplication des opérateurs et à la diminution de leurs moyens.

Thierry Brun  • 21 février 2013 abonné·es

Le scandale alimentaire qui a touché l’Union européenne ces dernières semaines, avec la découverte de viande de cheval vendue pour de la viande bovine, s’ajoute à de nombreux autres, notamment la maladie dite de la « vache folle » ou le poulet et la mozzarella à la dioxine. Parfois très médiatisés, ces scandales sont l’occasion de se demander comment des produits alimentaires frauduleux ont pu échapper aux contrôles. Dans le cas de l’affaire des lasagnes à la viande de cheval, « les fraudes sont favorisées par un système industriel où le laxisme domine trop souvent. En parallèle, les éleveurs se sentent harcelés par un empilement de normes sanitaires et de traçabilité, bien qu’ils ne soient pas à l’origine de ce type de crise. Il faut donc une volonté d’appliquer une même rigueur à tous les niveaux de la transformation », réagit la Confédération paysanne.

Les premiers jours de la crise des lasagnes au cheval ont déclenché des réflexes pas très ragoûtants. De même que les pratiques de dumping social en Europe furent « emblématisées » par le « plombier polonais », en 2005, la fraude alimentaire tenait son margoulin sous le masque des « mafias roumaines », suggéraient certains commentaires.

En réaction à l’émoi d’une possible « contamination » de leurs plats par du cheval, des prestataires de la restauration ont garanti qu’ils servaient bien de la viande de bovin nationale. Le Figaro (12/02) livrait « quatre astuces » pour être sûr de manger non du bœuf mais « du bœuf français ».

Sous-entendu : s’il est de chez nous, c’est que le bœuf est bien du bœuf, l’Hexagone étant « naturellement » au-dessus de tout soupçon d’arnaque alimentaire ! Ce nationalisme bovin s’est subitement calmé dès que la société Spanghero s’est retrouvée au premier rang des suspectés mafieux.

« Les circuits de commercialisation rendent les contrôles plus complexes. Si l’on ajoute à cela le désengagement des pouvoirs publics de l’activité de contrôle, on arrive à des situations potentiellement dangereuses pour le consommateur », ajoute l’association UFC Que choisir. Depuis l’affaire de la vache folle, les produits non transformés sont surveillés sur le plan sanitaire, et la mention de leur origine est obligatoire. Mais les législations française et européenne sont très laxistes en ce qui concerne les produits transformés, tels les surgelés. Le consommateur sait d’où vient le filet de bœuf qu’il achète chez son boucher ou au rayon boucherie de son supermarché, mais pas précisément d’où vient la viande contenue dans les lasagnes surgelées. Celles-ci peuvent mentionner « origine France » même si la viande vient de Roumanie. Les organismes de contrôle comme la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peuvent certes déceler des délits et les sanctionner, mais « on observe une évolution de fond depuis plusieurs années vers une délégation des services de contrôle officiels aux professionnels eux-mêmes et à l’autocontrôle. Récemment, la Commission européenne a encore émis des propositions dans ce sens », pointe Olivier Andrault, chargé de mission « agriculture et alimentaire » pour l’UFC-Que choisir [^2]. La DGCCRF n’assure en fait qu’une fonction de veille et d’anticipation des marchés alimentaires et non alimentaires. Elle a ainsi rappelé en 2012, dans une directive nationale d’orientation, que la vérification de la conformité des produits passe par le seul système d’autocontrôle, une obligation communautaire source de dérives. « Les réformes ont rendu la DGCCRF inapte à contrôler des flux commerciaux complexes et de dimension européenne », souligne la CGT de cette administration, qui dénonce, avec les autres syndicats, le fiasco des réorganisations dues aux restrictions budgétaires.

**« En opérant une saignée* des effectifs, en baisse de 15 % en six ans, la révision générale des politiques publiques [RGPP] a placé les services de contrôle dans la quasi-incapacité à remplir leurs missions »,* affirme la CGT. À cela s’ajoutent les coupes dans les effectifs des services vétérinaires du ministère de l’Agriculture, qui ont diminué de 11 % en 2011. Lorsque des trafics présentant de gros risques sanitaires sont détectés, la DGCCRF fait appel aux policiers de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp). Les investigations nécessitent cependant des moyens et du temps. Les services de la DGCCRF et de l’Oclaesp enquêtent depuis 2011 pour démontrer « que 100 tonnes de poissons d’élevage et sauvages (anguilles, crevettes, brochets…) ont été commercialisées avec des actes de tromperie sur l’origine et les qualités substantielles », ont-ils révélé en décembre 2012. Les deux services mènent une opération internationale de lutte contre la contrefaçon et la vente de produits alimentaires falsifiés, dont l’inventaire contient des dizaines de scandales potentiels. Thierry Brun

[^2]: Dans un entretien publié par terraeco.net, le 11 février.

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