Simone de Beauvoir, sortie de l’ombre sartrienne

Un passionnant ouvrage collectif montre la vitalité des études sur la philosophe.

Olivier Doubre  • 14 février 2013 abonné·es

en 1929, à 20 ans, Simone de Beauvoir est reçue, du premier coup, deuxième à l’agrégation de philosophie. Deuxième derrière Sartre redoublant. Le philosophe Maurice de Gandillac, condisciple de Sartre, a raconté à Annie Cohen-Solal [^2] combien les membres du jury avaient « longuement hésité » et, sans doute avec un certain sexisme, finalement choisi Sartre comme major de la promotion devant Simone de Beauvoir, même si tous « s’accordaient à reconnaître que “la” philosophe, c’était elle ». Commençait ainsi d’emblée, avant même qu’aucun des deux membres du couple original qu’ils allaient constituer n’ait encore publié la moindre ligne, un certain effacement de Simone de Beauvoir (1908-1986) derrière Sartre, qui dura presque toute sa vie, et se poursuivit même après leur disparition. « Les écrits philosophiques de Beauvoir n’ont reçu que peu d’attention et ont longtemps été considérés comme des faire-valoir de la pensée du pape de l’existentialisme », écrit ainsi la philosophe Christine Daigle. Il en va de même pour ses autres livres, à l’exception peut-être de sa série de mémoires, même si, comme le soulignent Éliane Lecarme-Tabone et Jean-Louis Jeannelle, ils furent eux aussi « trop longtemps envisagés avant tout comme sources d’information biographique »

Ce Cahier de l’Herne s’efforce justement de « ressaisir la production de Simone de Beauvoir dans sa globalité, afin d’éclairer, sans exclusive, les différents genres dans lesquels son talent s’est exercé ». Surtout, il se fait « l’écho » des nombreuses recherches, notamment anglo-saxonnes, « qui firent sortir Simone de Beauvoir de l’ombre sartrienne pour lui restituer sa stature de philosophe, notamment dans le Deuxième Sexe  ». On peut regretter que, reconnaissant pourtant l’avance des études féministes outre-Atlantique face à la « relative indifférence que [Beauvoir] a longtemps suscitée au sein de l’université française » (à l’exception des travaux de Michèle Le Dœuff, qui signe ici un texte passionnant sur ses « Relectures » de l’œuvre), les concepteurs de ce volume n’accordent pratiquement aucune place à ce « déplacement » que ces études ont opéré autour de la question du genre ( « gender » ), car considéré comme « trop militant » et ne faisant pas « la part assez belle à Beauvoir écrivain ». Néanmoins, ce Cahier, qui compte de nombreux textes inédits et des extraits de correspondance jamais publiés, offre une vue d’ensemble originale de l’auteure des Mandarins, tant dans ses années de formation que sur son œuvre autobiographique, l’existentialisme ou le féminisme. Féminisme dont elle demeure « la figure la plus importante » (Gisèle Halimi). On parcourt ainsi ce « continuel débordement de la vie sur l’œuvre et des œuvres sur l’existence ». Une œuvre dont Élisabeth Badinter rappelle « à quel point [elle] a été un puissant moteur d’émancipation pour ses lectrices ».

[^2]: In Sartre (1905-1980) , Gallimard, 1985, p. 116.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre