Un pied ici et un pied là-bas

Le nouvel an chinois, entre tradition et revendication, est aussi un facteur d’intégration.

Jean-Claude Renard  • 7 février 2013 abonné·es

Ce 10 février, quelques quartiers parisiens et d’autres villes de France vont se parer de couleurs et de fragrances. La cérémonie du nouvel an est un moment festif que préparent et savourent chaque année les communautés chinoises. Le cru 2013 est celui du Serpent, maître séducteur du zodiaque chinois, sensé, avisé, intuitif et indépendant. Un nouvel an en fonction du calendrier lunaire, suivant précisément la deuxième lune après le solstice d’hiver. Il s’inscrit dans une tradition paysanne, dans le nord de la Chine, en une période où l’on ne travaille pas dans les champs, où la fête est alors possible. C’est aussi la fête du printemps célébrant le retour de jours plus fastes autorisant une meilleure nourriture. Un passage habillé de rites. Certains liés à la paysannerie, à la famine, aux croyances, à la vie quotidienne. Quelques jours avant, la maison est nettoyée, façon ménage de printemps. On fait ses comptes, on paye ses dettes. On chérit les divinités, les « fonctionnaires du ciel », comme le dieu du foyer, avant qu’il ne parte faire son rapport annuel à l’empereur céleste. Pour adoucir ce rapport, il est nourri de mets sucrés, de douceurs propices à lui coller la bouche. Son effigie est ensuite brûlée, disparaissant dans les limbes, avant de retrouver sa place au foyer, quatorze jours après. Ce nouvel an possède naturellement son réveillon. Une fête avant tout familiale, avec un repas composé de symboles. Sur les tables domine alors le ravioli dégusté au moment du passage d’une année à l’autre, représentant le bon augure, sous la forme d’un bateau correspondant au lingot d’or chinois, censé apporter la richesse. Selon les familles, ce ravioli est fourré d’un bon présage, tantôt une fève qui annoncerait la naissance d’un garçon dans l’année, tantôt des crèmes de lotus, signifiant une excellente procréation, ou encore un talisman porte-bonheur. Le poisson occupe également une place prépondérante à cette table, car « s’il y a du poisson ce jour, il y en aura toute l’année ». S’ajoutent encore le poulet, synonyme de richesse, le canard, synonyme de prospérité, des nouilles étirées à la main, symbolisant la longévité, des boulettes de riz farcies, rappelant la famille. Le lendemain, c’est un repas maigre qui suit, composé des restes, sans viande, dégusté sans couteau. Il convient de bien commencer l’année. Manger maigre, c’est laver son corps, c’est aussi se préparer aux aléas de l’avenir, des aléas de disette et d’infortune.

Au nouvel an succède la fête des lanternes, avec ses bateleurs, ses troubadours, ses marchands et ses artistes de rue. Un défilé organisé en fonction du travail des uns et des autres, tenant compte, en France, du calendrier de la vie quotidienne. À Paris, dans le XIIIe arrondissement, ce sera le samedi 16 février, le lendemain autour de Belleville. Des défilés orchestrés par les associations de commerçants ou de résidents, les amicales du quartier, parfois avec les mairies. C’est le cas dans le Xe arrondissement (participant au défilé le 13 février). Pour Noé Distel, chargé de mission aux affaires scolaires de la mairie, « dans la représentation de la diversité culturelle de l’arrondissement, il est important que les institutions de la République puissent accueillir ces communautés dans leurs traditions, partager avec elles une cérémonie qui est aussi laïque. Au reste, à travers l’école, on observe combien la communauté chinoise a une forte volonté d’intégration, avec des parents très investis dans l’école publique, très demandeurs d’une éducation française pour leurs enfants ».

À Paris, les cérémonies du nouvel an rassemblent plusieurs dizaines de milliers de personnes. Si les curieux sont nombreux dans la foule, les défilés sont l’occasion pour les communautés de « sortir d’une mauvaise presse », selon Donatien Schramm, président de l’association Français de Chine, Chinois de France. « Quand les premiers Chinois ont commencé à être visibles dans le XIIIe, on a raconté n’importe quoi sur eux : des gens qui disparaissent dans les magasins au chien servi dans les restaurants. Beaucoup ont donc voulu changer cette image à travers un grand défilé. C’est un moyen de s’intégrer, et en même temps de garder un lien avec sa culture d’origine, de démontrer surtout qu’on peut cohabiter, faire des choses ensemble. Il n’en reste pas moins un déficit de médiatisation et un déficit de participation des gens. Le spectateur occidental subit, comme à Disneyland. Il n’est pas acteur. Tandis que les Chinois n’ont pas assez compris qu’il fallait plus d’interactions entre ce qu’ils proposent et ceux qui vivent autour d’eux. » Ces prochaines cérémonies seront donc l’occasion de souligner les volontés d’intégration et de vivre-ensemble.

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