Viande, fruits, légumes… Leur menu préféré, c’est la proximité !

Il y a ceux qui cultivent leur lopin, ceux qui achètent local, ceux qui privilégient le lien entre vendeur et acheteur… Témoignages.

Ingrid Merckx  et  Thierry Brun  et  Patrick Piro  et  Claude-Marie Vadrot  et  Pascale Bonnardel  • 21 février 2013 abonné·es

« Les vaches, on les voit manger, on sait ce qu’on mange. »

Quand ils vivaient en région parisienne, Colette et Pierre consommaient beaucoup de surgelés. « Mais pas de plats cuisinés ! J’ai toujours préparé moi-même, souligne Colette. On allait aussi au marché le dimanche. Mais on regardait moins la provenance. » C’était avant la vache folle et les lasagnes au cheval. Depuis qu’ils ont pris leur retraite à Penestin, en Bretagne, ils consomment « local » au maximum. Grâce au potager, ils ont des poireaux tout l’hiver, des tomates et des haricots en quantité, qu’ils échangent contre les courgettes du voisin. Idem pour les fraises et les framboises. Pour le pain, ils ont passé un contrat avec un boulanger « qui a construit son four à bois et nous livre du bio deux fois par semaine, comme une bonne partie du voisinage. Depuis deux ans, il fournit le supermarché du village, Carrefour Market, où l’on trouve des produits d’ici. » Le bœuf, ils l’achètent chez un voisin éleveur qui a ouvert boutique dans sa ferme. « Les vaches, on les voit manger dans les champs, on sait ce qu’on mange. » Il y a sept ans, le couple passait par une Amap, qui n’a pas tenu : « Les gens avaient l’impression d’acheter plus de terre que de légumes. » Déconvenue aussi pour la farine, qu’il allait chercher chez un meunier. « On s’est retrouvés deux fois avec des mites alimentaires. » Chez le poissonnier, Colette ne prend que ce qui vient de la criée du Croisic ou de la Turbale. Il y a aussi une ferme fruitière où Colette et Pierre prennent des pommes, des pommes de terre, des noix, des yaourts, du cidre, du miel et… du lapin. « Pour le reste, poursuit Colette, je vais au Carrefour Market, même s’il est plus cher que Leclerc. C’est important de conserver un supermarché dans le village. » Pierre fait aussi ses confitures et ses sorbets. « Mais pas le gâteau breton, trop compliqué… »

Du producteur au consom’acteur

C’est la nostalgie des radis croquants et des pommes de terre goûteuses de son grand-père jardinier qui a convaincu Perrine, aux revenus modestes, de s’abonner aux Paniers du Val-de-Loire. Une voisine, au détour d’une conversation de trottoir, lui fait l’article pour l’association Val bio Centre. Créée en 2000, elle regroupe une vingtaine de fermes familiales biologiques et six jardins d’insertion dans la région Centre, et livre ses paniers dans 200 dépôts répartis à Orléans et alentour, mais aussi en Île-de-France dans trente-cinq villes de la banlieue et les vingt arrondissements parisiens ! Depuis, chaque vendredi soir, Perrine va chercher son panier bio chez sa voisine, au bout de sa rue, à Montreuil. Pour une somme à peu près équivalente à celle consacrée auparavant à choisir soigneusement ses fruits et légumes au marché, elle partage désormais avec les siens les saveurs de son enfance. Dans son panier d’environ 4 kg, elle trouve 4 à 5 variétés de légumes et une de fruits, avec une recette et des infos sur les producteurs et l’association. Sur le site de cette dernière, la provenance des produits est détaillée pour une traçabilité simplifiée. Si les Paniers du Val-de-Loire mettent en avant leur volonté de tisser des liens étroits entre producteurs et consommateurs, qui peuvent se rencontrer lors de la fête annuelle à la mi-septembre, l’association est aussi engagée dans une démarche solidaire. Dans leurs cinq Jardins de Cocagne, une centaine de personnes en difficulté ont retrouvé un emploi, tout comme les salariés de deux entreprises partenaires. L’une, à Blois, opère la mise en paniers et la livraison à Orléans, l’autre, un chantier d’insertion de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, livre Paris et sa région. Le système de vente développé par les Paniers du Val-de-Loire est sous forme d’abonnement (en ligne sur www.lespaniersduvaldeloire.fr), il permet d’impliquer plus directement le consommateur urbain dans le développement de l’activité. L’association propose également un panier bio étudiant, en partenariat avec l’Unef, à un tarif plus avantageux et livré dans cinq universités parisiennes.

Le retour des potagers de résistance

Quand le tonnage des tomates autoproduites en France continue de progresser pour dépasser les 100 000 tonnes – alors que la production agricole (708 000 tonnes) et les importations sont en baisse –, quand les listes d’attente pour la location d’un petit jardin familial s’allongent chaque année dans toutes les régions de France, notamment dans les environs des grandes villes, c’est qu’il se passe quelque chose. Une sorte de résistance des consommateurs qui perdent confiance dans les circuits de distribution. Ce désamour transcende les classes sociales et les inégalités de revenus. Il y a les foyers modestes, les femmes seules ou les chômeurs qui trouvent dans ces potagers un moyen de manger jusqu’à la fin du mois. Mais aussi les retraités, les classes moyennes et les célèbres bobos qui défoncent leurs pelouses ou arrachent leurs rosiers pour installer des poireaux, des salades et surtout des fraisiers ou des arbustes à petits fruits. La crise économique étant doublée d’une crise de confiance dans le système productif, le mouvement des potagers gagne en puissance ; et l’autoproduction s’étend sur les surfaces récupérées un peu partout, y compris des toits et des terrasses. De quoi, comme le confient beaucoup des jardiniers du grand ensemble de potagers de Stains, en Seine-Saint-Denis, faire la nique aux grandes surfaces. Et surtout, expliquent les néojardiniers comme les anciens, « retrouver des valeurs d’échange d’un potager à l’autre, ce qui a disparu dans l’immensité d’un hypermarché où nous ne savons plus ce que nous achetons ». Une explication reprise dans les jardins ouvriers des environs de Roubaix, où une dizaine de familles se sont discrètement offert une vache pour avoir du lait.

Les cantines de Saint-Étienne montrent l’exemple

La municipalité, dirigée par les socialistes depuis 2008, a engagé la restauration scolaire dans une mutation importante. En 2009, à l’occasion du renouvellement d’un contrat de prestation, la ville bouleverse le cahier des charges : la moitié des composants des repas devra être en bio, et 10 % de plus chaque année. Début 2013, l’entreprise Elior, qui a emporté le contrat, tient le calendrier : 80 % des aliments sont bio, « et l’on devrait atteindre 100 % en 2014 », affirme Fabrice Poinas, responsable du secteur à la ville. Le cahier des charges comporte des critères diététiques (dont l’absence d’OGM et de colorants), mais aussi une obligation d’approvisionnement « le plus local possible ». Le périmètre : les départements de la Loire et limitrophes, « voire un peu au-delà », explique Fabrice Poinas. Moyennant cette souplesse, le tiers des aliments des cantines de la ville provenait l’an dernier de producteurs locaux. « Nous visons 50 % en 2013. » Le prestataire est contrôlé tous les mois, afin de vérifier la traçabilité des aliments. Un bémol tout de même : selon un observateur régional, « la ville a mis en place son programme sans liaison avec la communauté d’agglomérations, qui a compétence sur la politique agricole locale. On se prive donc d’un levier de soutien aux producteurs du bassin ». L’amortissement des équipements municipaux, achevé en 2009, aurait pu induire une réduction des charges de la restauration scolaire, « mais la municipalité a préféré investir dans la santé et le développement durable, à coût constant ». La grille tarifaire a cependant été revue à la baisse pour aider les familles modestes. Au prix plancher, le repas coûte 1 euro. « Nous livrons près de 3 000 repas par jour. Un chiffre en progression constante, mais nous espérons mieux », conclut Fabrice Poinas.

Où en sont les Amap ?

Ignorées quand éclate un scandale dans l’industrie agroalimentaire, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) sont pourtant un témoignage concret d’une alternative à l’agrobusiness mondialisé. D’après le Mouvement interrégional des Amap (Miramap), plus de 1 600 groupes de consommateurs, réunis autour d’un paysan, participent ainsi au maintien d’une agriculture de proximité qui se veut socialement équitable et écologiquement saine. Ces initiatives citoyennes ont été créées en 2001 pour lutter contre les pollutions et les risques sanitaires de l’agriculture industrielle. Rémunérés par l’Amap, les producteurs locaux proposent des paniers de légumes, de fruits et, pour certains d’entre eux, du fromage, du pain, de l’huile d’olive et de la viande. Depuis 2010, les Amap se sont regroupées dans une dizaine de réseaux régionaux et départementaux. Elles travaillent en lien avec la Fédération nationale de l’agriculture biologique et la Confédération paysanne. Et face au rouleau compresseur de la Politique agricole commune (PAC), qui aide massivement l’agriculture industrielle, elles bataillent depuis peu pour faire reconnaître leur statut d’association d’intérêt général.

Des liens plutôt que des affaires

Quand Louis-Marie Sire prévoit de faire abattre un de ses jeunes bovins, il lui suffit d’avertir son réseau par courriel : les commandes sont bouclées en deux jours. En cinq   ans d’activité, l’éleveur s’est constitué un réseau de fidèles qui viennent retirer à la ferme leurs cagettes de 10   kg de viande 100 % bio. Le bouche-à-oreille a parfaitement fonctionné. Ses clients, il les croise régulièrement dans les parages de Quistinic, son petit village morbihanais. « Certains perçoivent le RSA, ils demandent à payer en deux fois. » Tout juste réserve-t-il une place privilégiée sur sa liste pour le petit groupe francilien de Vincent : cet ami lui a avancé l’argent pour l’achat de ses premières vaches, en 2008. Les liens de proximité, la confiance, l’amitié : des valeurs que Louis-Marie, ex-paludier à Guérande, place au-dessus du rendement économique. Il s’en tient à huit vaches mères et autant de bovins vendus chaque année, nourris à l’herbe et aux céréales de ses vingt   hectares. « La taille de mon exploitation me permettrait d’élever 26 bêtes, mais j’ai fait un autre choix. Je préfère gagner en confort dans mon travail, et être plus disponible pour mes clients. » La municipalité a contribué à l’installation de l’éleveur. Il était le seul agriculteur bio en 2008, Quistinic en compte aujourd’hui six, dont la famille de sa fille, qui produit du blé et du pain, vendu en Amap. « Nous échangeons nos terres afin d’allonger leur cycle de rotation. » Ces dernières années, il a vu plusieurs collègues s’engager dans des circuits de vente de proximité. Bubry, à huit   kilomètres, accueille un marché de producteurs locaux tous les vendredis. Louis-Marie Sire est aussi trésorier d’un groupement d’achat « bio, équitable, local » regroupant une quarantaine de familles de quatre villages proches. Une autre manière de pousser ses convictions.

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Contre la malbouffe : Manger local
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