Vie privée, rien ne va plus !

Une forte mobilisation citoyenne s’organise en Europe contre le futur Règlement global pour la protection des données (RGPD).

Christine Tréguier  • 6 février 2013
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Une forte mobilisation citoyenne s’organise autour du respect de la vie privée (en anglais privacy ) à l’initiative de quatre ONG de défense des libertés[meetoos<-]
 : Bits of Freedom (Allemagne), Electronic Privacy and Information Center (Epic, États-Unis), European Digital Rights (Edri) et Privacy International. L’objet de leurs inquiétudes, le futur Règlement global pour la protection des données (RGPD). Il doit remplacer la directive de 1995 sur la protection des données personnelles et modifier partiellement la directive dite « e-privacy ». Le projet soumis par le Conseil de l’Europe est actuellement en discussion au Parlement, qui devra se prononcer pour ou contre.

Ce règlement est censé homogénéiser et renforcer les règles de protection des données personnelles auxquelles sont soumis États, organismes publics, industriels et plus particulièrement opérateurs de télécoms et acteurs d’Internet, plus connus sous le nom de Over-the-top ou OTT. Il ambitionne d’avoir une portée extraterritoriale – les OTT comme Google ou Facebook seraient soumis aux même règles que les acteurs nationaux –, d’instaurer un « guichet unique » et des sanctions en cas de failles de sécurité, et d’homogénéiser et renforcer les règles de protection de la vie privée qui diffèrent selon les pays. 

Consentement systématique

La médaille dorée a évidemment son revers. Les données personnelles (les traces et informations que nous laissons à chaque communication et chaque action électronique) sont le carburant du commerce numérique et le nouveau (et peut-être unique) moteur de la croissance économique mondiale. Les candidats à l’exploitation de ces gisements quasi inépuisables sont nombreux. Le lobbying est féroce. OTT et opérateurs (réunis au sein d’associations comme le GSMA (Association des opérateurs GSM), Etno (les opérateurs historiques) ou Ecta (les nouveaux opérateurs entrants), entre autres, hantent les couloirs de Bruxelles pour injecter les amendements ad hoc .

L’argument imparable est « le frein à l’innovation ». Pas question d’introduire un consentement explicite systématique (opt-in), qui permettrait aux citoyens de refuser collecte et traitement de telle ou telle donnée, limiterait l’ampleur des traitements et empêcherait les opérateurs de proposer de nouveaux services plus « personnalisés ». Pas question non plus d’accepter que l’anonymisation des données personnelles puisse être soumise à accord préalable et barre la route aux mirifiques profits attendus du Big Data et de l’Open Data.  

Protection de la vie privée

La crainte sous-jacente est que l’Europe assouplisse les règles de protection de la vie privée pour les rapprocher du modèle américain beaucoup plus laxiste, et que la vie privée ne devienne au final qu’un paramètre ajustable à l’envi et non plus un droit de l’homme. Ils ont donc lancé le 28 novembre, journée européenne de la protection des données, une « Déclaration de Bruxelles pour la protection de la vie privée ». ****

Dont voici une traduction intégrale en français :  

« La protection de la vie privée est un droit fondamental, mais aujourd’hui ce droit est très largement nié. Nous sommes indignés. Nous sommes indignés parce que :

– nous, citoyens, sommes désormais inscrits dans des centaines de bases de données, la plupart du temps à notre insu et sans notre consentement.

– plus de 1 200 sociétés se sont spécialisées dans la vente de nos données personnelles, la plupart du temps à notre insu et sans notre consentement.

– chaque fois que nous naviguons sur Internet, plus de 50 sociétés observent chacun de nos clics, la plupart du temps à notre insu et sans notre consentement.

– nous sommes constamment catégorisés et évalués par des algorithmes, puis traités en fonction de la « valeur estimée » que nous pouvons apporter ou pas au business, la plupart du temps à notre insu et sans notre consentement.

– les lobbies sont en train de se substituer à la voix et aux intérêts manifestes des citoyens.– nous appelons tous les membres du Parlement européen et les gouvernements de chaque état membre à étendre et renforcer nos droits à la vie privée. Nous attendons des nouvelles règles de protection des données personnelles qu’elles assurent :

– la protection de toutes les informations personnelles, y compris les identifiants des machines et des logiciels.– la reconnaissance que chaque citoyenNE européenNE a le droit de réellement contrôler ses informations personnelles.

– un consentement explicite, fort et informé pour tout traitement de nos données personnelles.

– l’interdiction du couplage entre service et utilisation des données (plus de « c’est à prendre ou à laisser » sur Internet).

– la transparence des pratiques de traitement et de partage des données.

– une « véritable » portabilité pour promouvoir la concurrence, réduire le  lock-in et garantir à chacunE l’autodétermination de l’information.

– une protection forte contre tout profilage discret des citoyens, à la fois en ligne et hors ligne.

– des mécanismes de réparation et de sanction effectifs à l’encontre des sociétés et des organismes d’État qui ne respectent pas la loi.L’Europe de demain a besoin du respect de la vie privée et aujourd’hui, nous avons besoin de vous pour défendre ce droit fondamental.

Pourquoi la vie privée est importante (en anglais).


Photo : AFP / JAVIER SORIANO

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Temps de lecture : 5 minutes
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