La stratégie suicidaire de La Poste

Les dirigeants poursuivent un processus de réorganisation délétère.

Thierry Brun  • 14 mars 2013 abonné·es

Deux nouveaux suicides et une tentative remettent au premier plan le malaise social au sein de La Poste. Le 15 février, une jeune factrice en CDD à Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire) est retrouvée pendue à son domicile. Le 25, un cadre responsable de la communication interne du groupe est lui aussi découvert pendu. Avant son geste, cet homme qui travaillait à Paris, au siège de l’entreprise était « en arrêt maladie pour cause de burn-out depuis trois semaines », indique Bernard Dupin, administrateur CGT du groupe. Plus récemment, une employée a tenté de se pendre dans l’enceinte du centre de tri de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). « Six autres agents sont dans la même situation de souffrance que notre collègue », révèle Antton Lamothe, délégué du personnel (CGT) de ce centre.

Ces cas récents interviennent un an après deux suicides de cadres à Trégunc (Finistère) et à Rennes (Ille-et-Vilaine). À la suite de ces drames, Jean-Paul Bailly, PDG de La Poste, a annoncé une pause dans les restructurations engagées depuis l’ouverture à la concurrence de la totalité du marché postal et le changement de statut du groupe, société anonyme depuis mars 2010. Un « grand dialogue sur la vie et le bien-être au travail » est lancé tout au long de l’année 2012, avant la remise en septembre d’un rapport de Jean Kaspar, ex-secrétaire général de la CFDT, « qui n’a rien réglé », affirme Bernard Dupin. En témoigne, entre autres, la lettre du collectif des facteurs de Trilport (Seine-et-Marne) adressée en décembre 2012 au président de la République et à Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Le courrier est un « appel au secours » sur « la situation quotidienne de bon nombre de postiers et sur les agissements sans cesse dénoncés des dirigeants de La Poste ». « Derrière le paravent du “grand dialogue”, les dirigeants de La Poste n’ont pas agi en 2012 sur le terrain de la souffrance au travail », constate SUD-PTT. Le syndicat dresse un « sombre bilan de la crise sociale de 2012, encore très présente parmi les postières et les postiers. Le malaise persiste malgré la signature [en janvier, NDLR] d’un accord dit de “qualité de vie au travail” par des syndicats minoritaires. S’il y a baisse des effectifs, les arrêts de travail pour accidents du travail repartent à la hausse  […]. Le nombre de journées d’arrêt maladie passe de 22,22 en 2011 à 22,46 en 2012 ». À ce bilan s’ajoute celui de plus d’une trentaine de suicides et de tentatives en 2012, une estimation fournie par les postiers alors que la direction reste dans le « déni », déclare Bernard Dupin.

« Aujourd’hui, il n’est pas possible de passer sous silence cette souffrance physique et psychique que vivent les postières et les postiers, et il est de notre devoir, au-delà du constat, d’en rechercher les causes », a déclaré le syndicaliste lors d’un conseil d’administration du groupe qui s’est tenu le 28 février. Ce même jour, à propos des récents suicides, Jean-Paul Bailly évoquait « des drames personnels et familiaux où la dimension du travail est inexistante ou marginale ». « C’est purement intolérable », s’indigne Bernard Dupin. De son côté, le gouvernement est resté silencieux alors que l’État est actionnaire majoritaire de La Poste.

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