Urgences : il est urgent d’agir

Crise de la démographie médicale, budgets restreints : les services d’accueil continu sont les premiers frappés par le manque d’effectifs dans les hôpitaux. Les explications de Bertrand Mas-Fraisinet.

Ingrid Merckx  • 14 mars 2013 abonné·es

L’hôpital est en crise, victime d’une logique gestionnaire. Un rapport remis le 4 mars par Édouard Couty, conseiller à la Cour des comptes, à la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, détaille quarante-huit propositions pour « restaurer la confiance ». Parmi elles, une réflexion sur la notion de service public et de territoire, une réforme du mode de financement, une refonte de la gouvernance redonnant du pouvoir aux médecins et favorisant la représentation des usagers, et la réaffirmation du rôle régulateur de l’État. En réponse, Marisol Touraine a annoncé treize « engagements » pour l’hôpital, mais rien de concret pour l’instant. Elle a lancé une « réflexion » sur la mise en place d’un « service public territorial de santé  » et demandé un bilan de l’organisation des hôpitaux en pôles. Bertrand Mas-Fraisinet analyse ici la portée de ce rapport et s’interroge plus particulièrement sur la situation des services d’urgences.

Les services d’urgences dans les hôpitaux sont en crise depuis des années. Aujourd’hui, certains se mettent en grève, des médecins menacent de démissionner… Que se passe-t-il ?

Bertrand Mas-Fraisinet ≥ C’est le résultat d’une lente dégradation qui s’est accentuée ces dernières années avec les objectifs de gestion sévère imposés aux hôpitaux. Les budgets ont été restreints, mais la masse salariale en représente 70 %. Nous manquons de praticiens, d’infirmiers, d’aides-soignants… Il y a des postes vacants en urgences et en réanimation. Les urgences sont les plus violemment frappées parce qu’elles réclament une activité continue. Pour assurer cette continuité jour et nuit, il faut un personnel important. Dès qu’on baisse un tout petit peu les effectifs, les conséquences sont énormes.

Le rapport Couty remis le 4 mars et le plan hôpital de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, peuvent-ils apporter des réponses rapides à cette crise ?

Le rapport Couty est chargé de bonnes intentions et il replace l’hôpital public au cœur des problématiques de santé, mais il ne dit rien de l’engagement financier nécessaire. Certes, il porte des propositions concernant le financement des hôpitaux : revenir sur la tarification à l’activité (T2A) en évoluant vers un système mixe qui inclurait la T2A, des dotations et un financement indexé sur des parcours médicaux. Cela pourrait donner un peu d’oxygène aux hôpitaux, mais il faudra du temps. En outre, il ne suffit pas de budgéter des postes, encore faut-il trouver les personnes pour les assurer. Dans mon service, j’ai cinq postes d’anesthésistes vacants. Nous avons le budget pour embaucher mais nous ne trouvons pas les professionnels. Aux problèmes financiers s’ajoutent une crise de la démographie médicale et un défaut d’attractivité de l’hôpital.

Faudrait-il un plan d’urgence pour les urgences ?

Les mobilisations à Strasbourg, Roubaix, Grenoble… ont permis d’obtenir localement des postes, même si les réponses sont insuffisantes (deux postes sur les cinq demandés à Roubaix). Ce qu’il faudrait, c’est une vision globale et du courage politique. Marisol Touraine ne peut pas faire autrement que d’entendre la grogne des professionnels, mais elle entend aussi les rumeurs sous-entendant que les hôpitaux sont mal organisés. En réalité les marges de réorganisation sont aujourd’hui faibles au sein des établissements de santé. En revanche, il existe probablement encore des marges à l’échelle des territoires par une meilleure organisation des parcours de soins. Il s’agit de décloisonner et de créer des passerelles entre la médecine de ville, l’hôpital et le médico-social, et d’effectuer des choix politiques. On ne peut plus tout faire partout.

Comment faire en attendant ?

Les professionnels se débrouillent, mais dans des conditions insatisfaisantes, y compris parfois en termes de sécurité. Certains médecins préfèrent donc démissionner plutôt que de prendre ces risques. En anesthésie-réanimation, par exemple, on sait que des jeunes sortiront de formation d’ici à cinq ans. Il faut tenir. En attendant, on lance des recrutements européens : en Italie, en Espagne, etc. Nous n’avons pas d’autre choix.

Société Santé
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