Venezuela : Le chavisme sans Chávez

Le dauphin d’Hugo Chávez, Nicolas Maduro, est désormais aux commandes du pays. Son premier défi : gagner les élections anticipées qui doivent se tenir dans les trente jours.

Jean-Baptiste Mouttet  • 14 mars 2013 abonné·es

En larmes, l’imposant Nicolas Maduro a annoncé la mort d’Hugo Chávez devant les caméras le 5 mars. Le désormais président par intérim a le destin du pays de la révolution bolivarienne entre ses mains. Il sera sans aucun doute le candidat des socialistes lors d’élections qui doivent être convoquées dans les trente jours suivant la mort du comandante. Hugo Chávez avait en effet désigné Maduro comme son successeur le 8 décembre dernier, conscient que sa dernière bataille contre le cancer pouvait lui être fatale. «   Si quelque chose se passe qui fait que je ne peux plus exercer mes fonctions, je vous demande de voter pour Nicolas Maduro   », déclarait ainsi le comandante avant son départ pour La Havane. Il ne tarissait pas d’éloges vis-à-vis du «   révolutionnaire à part entière   » qu’il appelait affectueusement par son prénom. Ce colosse à l’épaisse moustache est un fidèle parmi les fidèles, un proche. Ses pas emboîteront ceux d’Hugo Chávez après le coup d’État raté de février 1992. Celui qui deviendra ministre des Affaires étrangères d’août 2006 à janvier 2013, un record au Venezuela, avait milité pour l’amnistie du lieutenant-colonel avant de devenir l’un de ses secrétaires lors de la campagne présidentielle en 1998.

Ce passage de témoin a propulsé le vice-président comme successeur incontesté. En ces temps tragiques où Hugo Chávez est édifié en héros de la patrie, les potentiels concurrents du président par intérim joueraient de maladresse à contredire celui qui a été leur boussole durant quatorze   ans. Même le politologue Ricardo Sucre Heredia, peu connu pour être proche du pouvoir, reconnaît que «   les socialistes sont unis par la douleur ». « Homme de conciliation », selon Rafael Uzcategui, auteur de Venezuela : révolution ou spectacle ?, Nicolas Maduro a tissé son influence au sein de l’Assemblée nationale, des syndicats et du Parti socialiste, il a su aussi harmoniser le pouvoir en constituant une sorte de triumvirat. À Diosdado Cabello, le président de l’Assemblée nationale, influent sur l’armée, revient le Parti socialiste vénézuélien. À Elías Jaua, autre grande figure du chavisme, et qui a l’appui de l’aile gauche des militants, la charge de l’important ministère des Affaires étrangères. Il fut d’ailleurs nommé à ce poste par Hugo Chávez lui-même, alors que ce dernier était à La Havane. Ces trois voix ne se contredisent pas. En janvier dernier, face aux médias, et devant les rumeurs d’une possible guerre de succession, Diosdado Cabello donnait l’accolade à Maduro, son « camarade », son « frère ». Reste à savoir maintenant si le successeur désigné sera capable de diriger le pays. Cet ancien chauffeur de bus est critiqué pour son manque de «  charisme  », surtout lorsqu’il est comparé au tribun qu’était Chávez. Le politologue Nicmer Evans, favorable à la révolution bolivarienne, s’agace d’une telle comparaison : «   Ils sont différents, à chacun ses qualités.   » Nicolas Maduro a, selon lui, « des capacités pour convaincre   ». Des capacités rodées par une longue expérience politique. Membre de la Ligue socialiste, parti de tendance léniniste-maoïste, alors qu’il était lycéen, il commence sa carrière politique en tant que syndicaliste et dirige alors le syndicat du métro de Caracas. Il sera élu député en 2000, puis réélu en 2005. En l’absence d’Hugo Chávez, Nicolas Maduro démontre ses capacités à mobiliser la population. En qualité de vice-président, il mène la dernière ligne droite des élections régionales alors que Chávez est parti à Cuba à six jours du scrutin. Le résultat du 16 décembre 2012 est sans appel. Vingt gouverneurs pro-Chávez sont élus sur les 23 États que compte le pays. La victoire de l’élection présidentielle du 7 octobre (Hugo Chávez avait alors recueilli 55, 25 % des suffrages) est ainsi confirmée.

Le dauphin est aussi connu pour ses coups d’éclat. Fervent anti-impérialiste, il réclame devant l’Organisation des États américains (OEA) le soutien au président Manuela Zelaya, chassé du pouvoir au Honduras le 28 juin 2009. Il milite pour la non-intervention étrangère en Syrie, s’oppose aux tirs de l’Otan en Libye, quitte à soutenir diplomatiquement Bachar Al-Assad ou Mouammar Kadhafi. Le 5 mars, dans une allocution qui précède celle de l’annonce du décès de Chávez, il accuse les «   ennemis historiques   » du Venezuela d’avoir provoqué son cancer et annonce l’expulsion d’un attaché militaire de l’ambassade des États-Unis, soupçonné de conspiration. A contrario, Nicolas Maduro sait faire preuve de pragmatisme et donne la priorité aux intérêts du pays. Malgré un lourd passif diplomatique, il est l’un des artisans du rapprochement du Venezuela avec la Colombie de Manuel Dos Santos. Sa politique en tant que ministre des Affaires étrangères suit les lignes tracées par Chávez. Il soutient des alliances latino-américaines comme l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) et participe ainsi au rêve d’Hugo Chávez de faire renaître la Grande Colombie de Simon Bolivar, père de l’indépendance du Venezuela. Aujourd’hui encore, Nicolas Maduro cite le libertador dans la plupart de ses discours. L’heure n’est pas à prendre son autonomie, mais à se faire reconnaître comme le digne héritier. Grâce à la popularité d’Hugo Chávez, Nicolas Maduro est dans la position du candidat qui doit seulement gérer son avantage.

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