FSM 2013 : Avis de vent de printemps

À Tunis, la société civile du monde arabe et musulman a largement participé au rassemblement altermondialiste, lui apportant un souffle nouveau.

Patrick Piro  • 4 avril 2013 abonné·es

Le jeune Européen, qui dépasse Taycir de deux têtes, est décontenancé par la véhémence de l’étudiante. Anarchiste, le premier appelle au boycott des prochaines élections tunisiennes. La seconde, cheveux couverts par un voile, s’insurge : « Inconcevable ! Nous sortons d’une dictature, il ne s’agit pas d’élire des “maîtres” mais nos représentants, pour reconstruire notre pays tous ensemble. » Petit choc culturel entre un biberonné aux libertés et une affamée de démocratie. Les esplanades bouillonnent sur le campus universitaire El Manar de Tunis, hôte de la 12e édition du Forum social mondial (FSM), du 26 au 30 mars. On s’agglutine spontanément, le ton s’exalte, les mains virevoltent. Une traîne de reconnaissance suit le défilé des mineurs du bassin phosphatier de Redeyef : ils sont à l’origine de la révolution tunisienne. Sous un soleil déjà chaud, celle-ci fête son deuxième printemps, et tant reste à faire. D’anciens prisonniers politiques, torturés sous l’ère Ben Ali, réclament des réparations. « Consacrons plutôt notre énergie à créer des emplois pour les jeunes ! », s’exclame un gaillard. De puissantes sonos réclament justice pour Chokri Belaïd, le meneur de gauche assassiné le 6 février, associé dans les hommages au Vénézuélien Hugo Chávez. « L’Internationale » résonne en arabe, des pétitions circulent. La lutte palestinienne, distinguée par la marche de clôture du rassemblement, emporte le titre officieux de grande cause du FSM. L’engouement a dépassé toutes les prévisions. La réserve de badges épuisée, la comptabilité s’est interrompue à 55 000 participants. Dès le deuxième jour, on entre sans inscription. La jeunesse est nombreuse dans la foule. Des membres de l’Union générale des étudiants de Tunisie crient leur anticapitalisme. D’autres dansent avec des Européens sur les chants qui ont encouragé la rue à renverser Ben Ali en janvier 2011.

À Tunis, le FSM s’est prêté à une vaste catharsis. Dans les salles et les amphis, sous les tentes et les mimosas, s’exposent les mémoires d’oppressions parfois vieilles de plusieurs décennies. Des grands-mères algériennes brandissent le nom de leurs enfants disparus dans les années 1990. Dichotomie courante dans le Maghreb et le Machrek : d’un côté des mouvements et des syndicats indépendants, de l’autre des groupes financés par les gouvernements. Sous couvert de promotion culturelle, ces bras associatifs colportent pour Rabat le rêve d’une intégration territoriale du Sahara occidental, dont la lutte pour l’autodétermination gagne pourtant une audience croissante au FSM. Des nationalistes arabes scandent leur soutien à El Assad face aux opposants au dictateur syrien. Invectives, drapeaux brûlés. Les bénévoles du service d’ordre gèrent.

Les sociétés civiles « légitimes » font part de leurs avancées. Depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, une vingtaine d’ONG et de réseaux irakiens sont associés au sein d’une Initiative de solidarité de la société civile irakienne (ICSSI). « Le droit des associations que nous avons obtenu en 2009 est l’un des plus avancés du monde arabe, témoigne Salam Taha, du Mouvement irakien pour le sauvetage du fleuve Tigre. Le pouvoir accepte mal ce contre-pouvoir, mais il va se renforcer : nous avons décidé d’organiser à l’automne un forum social national. » Plus que tout autre, l’engagement des femmes a marqué le forum. Juristes, travailleuses sociales, animatrices, sociologues : elles sont omniprésentes, et des dizaines d’ateliers revendiquent leur rôle dans les révolutions arabes. Nadia Aït-Zaï, présidente du Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Alger), souligne les similitudes de leurs luttes dans le Maghreb : dénoncer l’instrumentalisation politique, punir les violences sexuelles, démanteler les législations discriminantes, résister aux islamistes conservateurs. La délégation libyenne affirme être la seule où les femmes dominent. Mais, au Congrès national, elles ne détiennent que 16 % des sièges. « Des hommes quittent la salle quand elles interviennent », déplore la psychologue Fathia Haggiagi. Les femmes ont lancé une campagne pour exiger 35 % des places au sein de la prochaine assemblée constituante. En cas de réussite, les Libyennes y seront mieux représentées que les députées françaises au Palais-Bourbon.

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