Israël – Palestine : deux stratégies pour un conflit

État binational ou solution à deux États ? Alors que la colonisation ne cesse de s’étendre, des intellectuels et des acteurs politiques israéliens expriment ici leurs arguments. Un reportage de Denis Sieffert.

Denis Sieffert  • 4 avril 2013 abonné·es

Au cœur de Bethléem, le « mur ». Paroi de béton haute de huit mètres qui balafre la ville, et sur laquelle – on se venge comme on peut – les Palestiniens dessinent, peignent, écrivent. On lit notamment ces mots : « A country is not only what it does, it is also what it tolerates. Kurt Tucholsky. 1933. » La citation qui s’étale sur cette immense surface lépreuse est d’un journaliste juif allemand. Reprise ici par une main anonyme, elle semble interpeller moins le colon ou le soldat que l’autre Israélien, celui de Tel-Aviv, si proche géographiquement et si éloigné culturellement. Elle vise une partie de cet Israël occidental, méditerranéen, qui a pu voter il y a cinq ans à 37 % pour le communiste Dov Khenin. Après un énième voyage, on se dit que le problème, en effet, n’est plus le colon fanatisé d’Hébron, ni même MM. Netanyahou et Liberman, ou le milliardaire Naftali Bennett, nouvelle figure de proue de l’extrême droite, tous irascibles. Le problème est cette partie de la population israélienne qui ne veut plus ni voir ni savoir, et qui, par dépit ou lassitude, a fini par tolérer l’intolérable : « Un pays n’est pas seulement ce qu’il fait, il est aussi ce qu’il tolère. »

On pense à un mot cruel d’Avraham Burg qui résume bien les limites de l’engagement politique de cette jeunesse : « La gauche israélienne est tombée amoureuse de l’assassinat de Rabin. C’est devenu une idée fondatrice. » Chaque année, en effet, le 5 novembre, les jeunes de Tel-Aviv viennent par milliers allumer une bougie sur la place où fut assassiné en 1995 l’ancien Premier ministre israélien, artisan des accords d’Oslo. Pour solde de tout compte avec le conflit israélo-palestinien.

Pourquoi cette démobilisation ? Israël est malade de sa représentation politique. Homme à la belle prestance, la kippa d’un vert cru vissée sur un crâne hâlé, Avraham Burg, que l’on rencontre à Jérusalem, n’a pas de mots assez durs pour la gauche travailliste. Pour lui, c’est Ehud Barak, l’ancien Premier ministre travailliste entre 1999 et 2001, qui a été « le fossoyeur en chef de la gauche, liquidée dans le stupide sommet de Camp David en juillet 2000 ». « Lorsque Barak a dit “nous n’avons plus de partenaire pour la paix”, il a tué la gauche », estime Burg. Avec une pointe d’ironie, il propose aussi une deuxième explication : « La gauche avait Staline, la droite avait Dieu ; Staline est mort, Dieu est toujours là. » Ancien président de la Knesset (le Parlement israélien) et naguère candidat déçu à la direction du Parti travailliste, Burg a parcouru le chemin inverse du reste de la classe politique de son pays. Il en est venu à une conclusion radicale : « Qu’est-ce que la gauche ? C’est l’égalité. Or, dès qu’il y a une référence au sionisme, il n’y a plus d’égalité possible. » Pour lui, « le projet juif, à partir des années 2000, a pris le dessus sur le projet démocratique, et la paix est entrée en coma ». « Il n’y a qu’un principe à observer, poursuit-il, que chaque individu qui vit entre la mer et le Jourdain ait les mêmes droits. » C’est ainsi que cet homme pieux, longtemps sioniste convaincu, en vient aujourd’hui à plaider pour un État binational. Ce qui signifie renoncer au caractère juif de l’État.

Impasse politique

Entre la mer et le Jourdain, en moins de cent kilomètres, il y a bien trois ou quatre « pays ». Le littoral, Jérusalem et peut-être même deux Palestine. Au fil des ans, le contraste est de plus en plus saisissant entre Tel-Aviv et Jérusalem. Traditionnellement, une dizaine de degrés séparent les deux villes. En ces derniers jours de l’hiver, la jeunesse de Tel-Aviv, celle peut-être qui est « amoureuse de la mort de Rabin », profite déjà des premières langueurs des nuits étoilées. C’est Pourim, fête joyeuse, carnavalesque et passablement alcoolisée. Les éclats de rire jaillissent des attroupements devant les bars branchés de Ben Yehuda et Dizengoff, les deux grandes avenues parallèles à la côte. On est loin du conflit israélo-palestinien. Pourtant, ces jeunes ne sont pas dépolitisés. Beaucoup d’entre eux ont manifesté massivement à l’été 2011. Mais c’était sur des thématiques sociales.

Dov Khenin, aux allures d’intellectuel, petites lunettes, visage émacié à la Beckett, nous reçoit dans le local de Hadash [^2], dont il est l’un des députés. Il analyse lui aussi l’impasse politique : « En Israël, on peut manifester pour le social, mais les élections se jouent sur le sécuritaire. » « Le peuple est plus socialiste que ses dirigeants, poursuit-il. Dans tout autre pays, les élections donneraient des élus en phase avec l’opinion, mais en Israël on ne vote pas pour des enjeux sociaux, on vote pour la sécurité. Le mouvement social a été confronté à un pouvoir dont la légitimité est ailleurs. » De son propos, on conclut que la question palestinienne est encore plus absente des débats électoraux que les revendications sociales. L’ambiance politico-médiatique est à la « menace iranienne ».

Soixante kilomètres plus à l’est, c’est un autre « pays ». Jérusalem, fraîche au climat, grave, austère, pieuse, tourmentée, et surtout traversée par une frontière invisible mais obsédante. Ici, on ne peut oublier le « conflit ». De cette ville continentale, Michel Warschawski, militant anticolonialiste, fondateur du Centre d’informations alternatives, qui réside dans le vieux quartier juif de Nahlaot, fait un éloge étonnant : « J’aime Jérusalem parce que c’est une ville triste et qui s’arrête de vivre chaque vendredi soir pour vingt-quatre heures comme pour se purger de tous les excès du monde moderne. » Ici, on ne rigole pas avec le shabbat, sorte de diète collective que les religieux vivent dans la dévotion et dont les mécréants profitent pour le repos et la méditation. Une ville où on a encore le droit de s’ennuyer. C’est la décroissance, pour qui veut bien l’entendre ainsi.

Au moins, l’ambiance est-elle plus en conformité avec la réalité de cette région déchirée. Le monde des Palestiniens est tout près, dans la partie orientale. Même le touriste le plus inconscient ne peut pas ne pas voir. Impossible de franchir la porte de Damas, qui s’ouvre sur la Vieille Ville, sans remarquer le drapeau israélien suspendu, comme une provocation, au balcon de la première maison. C’est là, au cœur de la ville arabe, qu’Ariel Sharon, le général, ennemi historique des Palestiniens, avait décidé de s’installer, comme un défi à la paix. Crânes rasés, Ray Ban sur le nez et flingue au ceinturon, les gardes du corps des colons arpentent des ruelles où ils sont on ne peut plus étrangers. Impossible de remonter la Via Dolorosa en direction du Saint-Sépulcre sans repérer les drapeaux blanc et bleu à l’étoile de David exhibés comme autant de titres de propriété. La ville est quadrillée. Impossible aussi de s’approcher de l’esplanade des Mosquées, qui surplombe le mur des Lamentations. Au total, ce sont 200 000 colons qui habitent à présent dans le « Grand Jérusalem ». L’innocence et l’insouciance sont interdites.

Ce qu’occupation veut dire

À quelques kilomètres de là, c’est un troisième « pays ». À une plus petite échelle, la Palestine vit en son sein une dualité qui rappellerait presque l’opposition Tel-Aviv/Jérusalem. Au cœur de Ramallah, la capitale provisoire, il est possible d’oublier par instants l’occupation. L’air est encore trop frais pour que les jeunes s’attroupent la nuit venue aux abords de la place Al Manara mais, dans les cafés, il fait bon fumer le narguilé en tapant bruyamment la carte à jouer sur la table. Surtout quand on est un homme. Sur les hauteurs, de riches demeures témoignent de la croissance d’une bourgeoisie d’affaires. Ce que Benjamin Barthe a appelé le « Ramallah dream » (2). À en faire oublier la réalité que vivent la majorité des Palestiniens.

Mais c’est à Hébron, la grande ville du sud de la Cisjordanie, qu’il faut aller pour comprendre ce qu’occupation veut dire. Là, nous suivons les pas de Chantal Abu Eisheh, guide admirable, fondatrice et animatrice de l’Association d’échanges culturels Hébron-France. La colonisation niche dans les entrailles de la ville. Avec ces six cents colons fanatisés et racistes, établis depuis 1979, qui déversent depuis les étages supérieurs leurs immondices sur les Palestiniens, protégés par des filets ployant sous le poids des ordures. Avec ces lignes jaunes au sol qui tracent le chemin des Palestiniens et leur interdit la rue des Martyrs, artère principale du quartier. Avec la partition en zones dites H1 et H2 imaginée en 1997, comme un prolongement particulier et cynique des accords d’Oslo. Avec les chevaux de frise et surtout ces magasins définitivement clos, dont les cadenas ont été scellés par les autorités israéliennes. Mille huit cents magasins, selon l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem, ont ainsi été fermés, condamnant au chômage des milliers de Palestiniens pour « sécuriser » les colons. Ironie tragique de l’histoire : cette ségrégation qui accable la population palestinienne est la conséquence du massacre de vingt-neuf Palestiniens en prière par un extrémiste juif, en février 1994. Ce sont les victimes qui sont punies.

Il faudrait amener ici des cars entiers d’Israéliens de Tel-Aviv pour réveiller les consciences. Mais les Israéliens ne sont pas autorisés par leur gouvernement à venir en Cisjordanie. Officiellement, pour des raisons de sécurité. En vérité, l’interdit sert surtout à entretenir l’ignorance ou le déni.

Paradoxe de la colonisation

Difficile aussi de traverser la Cisjordanie sur une de ces routes de contournement réservées aux colons (elles ne sont pas formellement interdites aux Palestiniens, mais elles ne mènent jamais aux villages arabes) sans voir l’incongruité architecturale de ces cités aux toits rouge vif, comme une monstrueuse faute de goût, juchées sur des promontoires et dominant les villages palestiniens. Étonnant jeu de go.

« Si l’occupation est démographique à Jérusalem, analyse Michel Warschawski, elle est spatiale dans le reste de la Cisjordanie. » On ne peuple pas le territoire palestinien. Pas tout de suite. On le préempte. Parfois, une simple station-service suffit. Signe d’appropriation, comme un drapeau américain sur la Lune, ou chinois sur une île japonaise. Sans compter l’arnaque de ce que nous appelons trop souvent la « colonisation sauvage », par opposition à l’autre, qui serait légale. Michel Warschawski nous montre in vivo comment tel campement de roulottes installées un jour devient quelques mois plus tard, et quelques hectomètres plus loin, une colonie en dur tout ce qu’il y a de plus « légale » pour le gouvernement israélien. Quoi qu’il en soit, la colonisation galopante qui menace à présent la zone dite E1, qui s’étend à l’est de Jérusalem à la grosse colonie de Maale Adumim, semble condamner à terme la solution « à deux États ».

C’est le paradoxe de la colonisation. En brisant la continuité territoriale palestinienne, l’extension des colonies bouleverse les données du conflit. Demain, elle risque de rendre obsolète le fameux discours ronronnant et onusien sur les deux États vivant côte à côte dans « des frontières sûres et reconnues ». Demain ? Aujourd’hui déjà, peut-être. La question est au centre de la réflexion de tous ceux qui veulent encore réfléchir, côté palestinien comme côté israélien.

« Dépalestinisation »

Députée arabe israélienne, représentante de ces un million six cent mille citoyens palestiniens héritiers de ceux qui ont échappé à l’exode de 1948, Haneen Zoabi est une petite femme vive et passionnée, débordante d’énergie. Elle a été la cible d’un déchaînement de haine pour avoir osé participer à la fameuse « flottille pour Gaza », en juin 2011. Elle aussi s’inscrit dans cette réflexion d’une citoyenneté pleine et entière de la Méditerranée au Jourdain. Nous la rencontrons à l’hôtel Jérusalem, dans la partie orientale de la ville. « C’est compliqué d’être à la fois citoyen israélien et de revendiquer son identité palestinienne, dit-elle. Quand bien même nous renoncerions à notre identité, cela ne nous donnerait pas pour autant les mêmes droits qu’aux juifs. L’État juif, cela signifie 32 lois qui font une différence entre juifs et non-juifs. C’est l’accès à la terre, l’immobilier, le regroupement familial, le droit à la résidence… La définition d’Israël comme “État juif” s’exprime d’abord par le contrôle de la terre, mais aussi par la culture. Les écoles arabes ont des contenus pédagogiques différents. Bien sûr, la répression est plus forte dans les Territoires, mais au moins on ne remet pas en cause l’identité palestinienne des habitants. En Israël, il y a une tentative de “dépalestinisation” des Arabes israéliens. Et une évidente discrimination sociale. 50 % sont sous le seuil de pauvreté, contre 20 % des juifs. Les revenus moyens sont d’un tiers inférieurs. Les Palestiniens d’Israël représentent 18 % de la population, mais ils ne sont que 7,6 % à accéder à l’université, et 7,8 % à entrer dans la fonction publique. »

Pour Haneen Zoabi, comme finalement pour Avraham Burg et Dov Khenin, « la base de tout, c’est la démocratie, et la démocratie, c’est la remise en cause du caractère juif de l’État. C’est l’égalité ». Or, avec l’exigence de reconnaissance du caractère juif d’Israël, ce sont les Palestiniens qui sont regardés comme des intrus. « C’est, observe Haneen Zoabi, un incroyable renversement de l’histoire. »

De l’autre côté de ce qu’il est convenu d’appeler la ligne verte, en Cisjordanie, des intellectuels mènent une réflexion semblable. À l’université An-Najah de Naplouse, où il enseigne, nous rencontrons Bilal Shafi, brillant intellectuel au français sophistiqué. De cet immense campus de 26 000 étudiants sortent chaque année 4 000 à 5 000 diplômés. Certains vont faire carrière dans les pays du Golfe, mais la plupart doivent affronter le chômage. « Ici, l’université est organisée sur un principe strict de mixité, commente Bilal Shafi, mais la poussée religieuse est perceptible. De plus en plus de jeunes filles sont couvertes. » Est-ce le signe d’une influence grandissante du Hamas ? Bilal Shafi relativise l’opposition Fatah-Hamas. « C’est le Fatah, dit-il, qui a introduit une mosquée sur le campus, et les deux organisations se livrent à une surenchère religieuse. » Cela n’empêche pas les filles d’être de plus en plus nombreuses. Elles représentent 60 % des étudiants. « Le paradoxe, note Bilal Shafi, c’est que ce sont les filles qui sont les plus favorables au Hamas. »

L’universitaire n’exonère pas les Palestiniens de tout reproche. De ce côté aussi, la démocratie est loin d’être évidente. « Dans la société palestinienne, observe-t-il, la démocratie est trop souvent perçue comme un signe d’invasion culturelle occidentale. » Mais que pense-t-on ici de l’évolution du conflit, et de la croissance de la colonisation ? « La solution préconisée par les accords d’Oslo de deux États n’est plus à l’ordre du jour », juge sans détour Bilal Shafi. Dans une situation qu’il qualifie de « chaotique et opaque », et « en l’absence d’une stratégie claire pour résister à l’occupation israélienne, la solution d’un seul État démocratique binational et bilingue, dit-il, est une idée qui fait son chemin au sein de la classe intellectuelle palestinienne ».

En filigrane, il y a évidemment la disparition de l’Autorité palestinienne, dont le rôle de « tampon » entre la population palestinienne et l’occupant est jugé par notre hôte au mieux « équivoque ». Pour lui, « l’évolution démographique dans le cadre d’un État binational, favorable aux Palestiniens, contraindra les amis occidentaux d’Israël à accepter une solution privilégiant les droits de l’homme et le respect de la démocratie ». Il plaide pour la création d’une « organisation populaire et associative pour consolider le travail de la société civile dans sa gestion de la vie quotidienne des Palestiniens ». « Les revendications nationales changeront ainsi de nature, dit-il, et la lutte pour la liberté, l’égalité et la justice sociale devra être prioritaire. »

« Résistance non-violente »

Un pari encore minoritaire dans la société palestinienne. Et totalement rejeté, évidemment, par l’Autorité palestinienne. Adjoint au ministre des Affaires étrangères, Amin Abou-Hassira défend une autre stratégie, qui comporte deux niveaux. À l’échelle internationale, il s’agit pour lui de pousser l’avantage acquis à la suite du vote de l’Assemblée générale de l’ONU, le 29 novembre dernier. En obtenant le statut d’État observateur non-membre, la Palestine a accompli « un acte fondateur ». Elle a gagné la possibilité de porter la question de la colonisation devant la Cour pénale internationale. « Nous n’y renoncerons pas, dit-il, Israël n’est pas au-dessus des lois. Si des crimes contre l’humanité sont commis, Israël doit être poursuivi devant la CPI. » Parmi les facteurs susceptibles de faire bouger la situation, Amin Abou-Hassira n’oublie pas de mentionner l’Intifada. Mais une Intifada « pacifique ».

À un autre niveau, sur le terrain, l’Autorité joue la carte de ce que Benjamin Barthe a appelé le « fayyadisme », du nom de Salam Fayyad, le Premier ministre, issu de la Banque mondiale, qui définit lui-même sa doctrine (cité par Benjamin Barthe) : « L’idée est de produire une masse critique de faits accomplis et de changements positifs pour que la réalité de l’État s’impose au monde. » D’où le lancement d’une multitude de chantiers pour réhabiliter les routes, la construction d’une ville nouvelle, mais aussi la formation des jeunes Palestiniens à l’informatique. Cette stratégie trouve cependant ses limites. Quand l’Autorité envisage de construire un aéroport, le projet se heurte évidemment au veto israélien.

L’analyse est la même au siège du Fatah, où nous reçoit Mahmoud Labadi. Pour l’ancien porte-parole de Yasser Arafat, « c’est une nouvelle époque qui s’ouvre ». « Il y a eu le temps des feddayins, se souvient-il, la résistance violente quand Israël voulait effacer le peuple palestinien de la carte du monde. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une période de résistance non-violente. Tout le monde sait qui est l’agresseur. La cause palestinienne a beaucoup gagné dans l’opinion publique internationale. » Mahmoud Labadi reconnaît tout de même une erreur historique : « Avec Oslo, nous avons été très optimistes. Nous n’avons pas compris la mentalité israélienne. » Il évoque la possibilité d’un boycott international des produits israéliens, « parce qu’aujourd’hui, le problème, c’est que la cause palestinienne ne dérange pas les Israéliens ».

Impératif moral

De l’autre côté, un homme veut encore croire lui aussi à la stratégie des deux États. Zeev Sternhell, 78 ans, historien prestigieux, nous reçoit chaleureusement à l’université hébraïque de Jérusalem. À vrai dire, c’est surtout que l’autre hypothèse, celle de l’État binational, lui semble totalement « irréaliste ». Pire que cela : « dévastatrice dans l’opinion israélienne ». Cet homme profondément ancré à gauche, et qui, pour cette raison même, s’est éloigné du Parti travailliste, défend l’idée « d’échanges de territoires » qui permettront à Israël d’intégrer les principales colonies juives tout en préservant un État palestinien viable. Pour Jérusalem, il se réfère aux fameux « paramètres de Clinton », soutenus en décembre 2000 par l’ancien président américain : « Tout ce qui est juif revient à Israël ; tout ce qui est arabe revient aux Palestiniens. » C’est simple et séduisant, mais cela comporte l’inconvénient d’entériner la présence israélienne qui n’a cessé de croître au cœur de la ville arabe.

Quelques heures avant le retour à l’aéroport Ben Gourion, nous retrouvons un autre historien à l’université de Tel-Aviv. Shlomo Sand pousse la réflexion sur un terrain philosophique plus que politique. Qu’est-ce que l’identité juive ? Peut-on être juif et laïque ? Qu’est-ce que l’identité israélienne ? Avec la passion qu’on lui connaît, Sand nous donne un aperçu de ce que contient son dernier livre (voir ci-contre). Lui conclut à la nécessité de l’État binational. C’est un impératif moral qui n’est pas dicté par la colonisation. Comme toujours avec Shlomo Sand, ce n’est pas tant la conclusion qui importe que les chemins de la démonstration.

[^2]: Alliance parlementaire socialiste juive et arabe de diverses organisations, quatre représentants à la Knesset.

Publié dans le dossier
Chômage : Comment s'en sortir ?
Temps de lecture : 18 minutes