« La Belle Endormie », de Marco Bellochio : Tuer les dogmes

Marco Bellochio tisse trois récits à partir d’un fait divers questionnant l’euthanasie.

Christophe Kantcheff  • 11 avril 2013 abonné·es

Le film commence par un tumulte médiatique. Les flashs télévisés se succèdent à un rythme chaotique. Nous sommes le 23 novembre 2008. La justice italienne vient d’autoriser le père d’une jeune femme, Eluana, plongée dans le coma depuis dix-sept ans à interrompre l’alimentation artificielle maintenant sa fille en vie. Les déclarations des hommes politiques s’ajoutent les unes aux autres, manipulant la morale avec le plus parfait cynisme, Berlusconi, là comme ailleurs, montrant le chemin. Voilà, dans la Belle Endormie, Marco Bellocchio scrutant de nouveau les hypocrisies de la société italienne, cette fois par le biais de ce qu’on appelle un « sujet grave » : l’euthanasie. À partir de ce fait divers qui a secoué l’Italie, mais qu’il ne montre pas autrement qu’à travers ses échos médiatiques, le cinéaste tisse trois intrigues qui tournent autour de ce même sujet.

La première concerne Maria (Alba Rohrwacher), militante d’un mouvement catholique qui manifeste devant la clinique où est hospitalisée Eluana. Ses convictions, pourtant solidement ancrées, seront mises à mal par l’histoire d’amour difficile qu’elle va connaître avec un garçon athée. Tandis que le père de Maria (Toni Servillo), un sénateur de droite, s’apprête à désobéir à la discipline de son parti, opposé à l’euthanasie, parce qu’il a lui-même été mis face à une telle situation quand sa femme était mourante. La seconde histoire se déroule dans une maison aux allures de sanctuaire, où une femme au nom étrange, la Divina Madre (Isabelle Huppert), percluse de religion, garde artificiellement en vie sa fille dans le coma depuis des années, priant pour son réveil. Le troisième récit, enfin, semble a priori en décalage par rapport aux autres, mais est en réalité leur contrepoint : une femme dépressive et droguée (Maya Sansa), voulant mettre fin à ses jours à la première occasion, est recueillie dans un hôpital par un jeune médecin (Pier Giorgio Bellocchio) qui ne la quitte plus des yeux. La Belle Endormie est un film virtuose qui ne joue pas sur les caricatures – Huppert ne compose pas un personnage ridicule mais profondément inquiétant et mortifère. Il orchestre au contraire les complexités du réel pour mieux révéler comment les croyances et les dogmes créent des mondes virtuels, arides, désincarnés. Dans la Belle Endormie, il n’y a pas d’euthanasie sans amour.

Cinéma
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