« Socialiste », un mot tabou

Denis Sieffert  • 4 avril 2013 abonné·es

Ainsi donc, l’un est socialiste, et l’autre ne l’est pas. À deux jours d’intervalle, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont apporté à la même question des réponses à peu près opposées, l’un sur France 2, l’autre au Journal du dimanche. Il revenait au second – celui qui est encore « socialiste » – d’accomplir cette tâche ingrate : nous convaincre que cette contradiction n’en était pas une. Le Président n’ayant fait « que rappeler qu’il était le Président de tous les Français ». Ah bon ! Serait-ce que le Premier ministre, lui, est le porte-parole du Parti socialiste ? Quand on songe que les deux hommes, l’un à gauche, l’autre « ailleurs », marchent quand même « main dans la main », c’est à n’y rien comprendre !

Dans un contexte de crise du papier, l’abonnement est plus que jamais la solution pour nous aider à passer un cap difficile.

Comme vous avez pu le constater au cours des derniers mois, nous nous efforçons, dans une situation pourtant difficile, d’améliorer notre journal. L’effort a porté particulièrement sur les reportages. Nous voulons ainsi donner plus de chair et de vie à un journal connu et apprécié plutôt pour ses analyses. Vous trouverez aussi davantage de reportages vidéo sur notre site Politis.fr, qui connaît un réel essor. Mais, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire et de l’écrire, nos ventes en kiosque ont chuté considérablement au cours des derniers mois. Cette situation pourrait rapidement mettre en difficulté un journal qui ne vit que du soutien de ses lecteurs. Les causes sont multiples. En premier lieu, il y a évidemment les fermetures de points de vente et les perturbations que cette « crise du papier » provoque.Nous subissons à notre échelle une tendance générale qui frappe à peu près sans exception toute la presse d’information générale, y compris les magazines, qui ont longtemps été épargnés. Il y a aussi des causes qui nous sont plus spécifiques. Notre journal, nous le savons depuis toujours, est très sensible au climat politique. Nous subissons sans doute, avec d’autres, une sorte de dépression post-électorale. La morosité due au discours gouvernemental n’y est pas étrangère. Sans même parler du contexte de crise général.

Quoi qu’il en soit, et pour revenir à des considérations plus directement économiques, un exemplaire vendu à 3,30 euros rapporte actuellement à Politis 59 centimes. Je vous parlais récemment encore, dans ces mêmes pages, de 85 centimes… Si l’on prend en compte le prix du papier et de l’impression, alors nous sommes gravement déficitaires sur ce secteur. Conclusion assez évidente, et dont nous avons parlé à l’assemblée générale de notre association de lecteurs Pour Politis, le 16 février dernier, seuls les abonnements permettent aujourd’hui à Politis d’exister. Sur un abonnement en prélèvement automatique qui coûte au lecteur 2,56 euros au numéro (11 euros par mois), nous percevons 2 euros. Point besoin de grandes démonstrations. Pour passer ce cap difficile, nous n’avons donc d’autre possibilité que de vous suggérer de vous abonner, et, si vous êtes déjà abonnés, d’abonner des amis. Vous disposez pour cela d’un instrument simple dans les pages centrales de Politis : le fameux coupon détachable. Ou l’accès par notre site Politis.fr. quand il ne s’agit pas d’abonnement en prélèvement automatique. Un grand merci à ceux qui ont déjà fait ce geste. Nous vous tiendrons régulièrement au courant.

Ce n’est pas la première fois que cette question à cent sous fait trébucher un homme de gauche. En février 2002, Lionel Jospin, alors candidat à la présidence, s’était aussi pris les pieds dans le tapis, quoique sa réponse fût plus subtile : « Je suis socialiste d’inspiration, avait-il répondu à David Pujadas (déjà lui !), mais le projet que je propose au pays n’est pas un projet socialiste. » On sait que la subtilité n’a pas payé. Mais l’embarras manifeste de nos hommes « de gauche » au pouvoir pour assumer ce qu’ils sont, ou ce qu’ils devraient être, est révélateur d’un certain complexe démocratique. Accessoirement, leur dérobade témoigne peut-être d’abord de la difficulté qu’il y a à mener une politique de gauche dans le cadre des institutions de la Cinquième République. Comme si celles-ci étaient naturellement taillées pour un président de droite. Il n’est d’ailleurs jamais venu à l’esprit d’aucun journaliste de demander à Nicolas Sarkozy s’il était encore de droite quand il est entré à l’Élysée. C’était tellement évident !

Mais « être socialiste », dans la doxa médiatique, c’est défendre une idéologie, être le porte-parole d’un parti ou d’un clan. Alors que, dans la mythologie gaullienne, le Président se doit d’être au-dessus des partis, et garant de l’unité nationale. Pour justifier cette posture aérienne, on pouvait, au temps du Général, invoquer la sauvegarde de la République contre les putschistes de l’Algérie française. Ce discours passait d’autant mieux qu’il existait dans notre pays un fort consensus social, au moins sur la nature de ce qu’on appelle, d’ailleurs assez sottement, « l’État providence ». Mais, sous la pression du néolibéralisme, le consensus a explosé depuis belle lurette. La lutte des classes est aujourd’hui plus violente que jamais. Les conflits ont certes toujours existé sur les retraites, l’impôt, le droit au travail, les services publics, le rapport de l’État au privé, mais, depuis une vingtaine d’années, comment ne pas voir qu’il s’agit d’une remise en cause du système lui-même ? Le consensus avec la droite, devenue libérale, n’est donc plus possible si on veut défendre une politique de justice sociale. Le conflit entre le travail (et il faut entendre par là « économie réelle » et pas seulement « salariat ») et le capital financier est totalement déséquilibré. Le chômage de masse en est un indicateur. Il n’est pas le seul. Les statistiques sont plus discrètes sur le nombre des travailleurs pauvres, et le long cortège des exclus, parfois jetés à la rue. Face à cette déchirure sociale, la formule rituelle du Président de « tous les Français » n’a plus guère de sens. Est-il possible d’être perpétuellement à la recherche du consensus entre l’eau et le feu ? Nicolas Sarkozy, lui, n’a-t-il pas toujours défendu la France d’en haut avec zèle ? Pourquoi celle d’en bas serait-elle condamnée à n’avoir que des candidats qui ont peur de leur « ombre socialiste » dès qu’ils parviennent au pouvoir ? Après tout, il paraît que nous avons « un pape des pauvres », nous pouvons bien avoir « un Président de gauche »…

On aurait aimé entendre jeudi dernier un Président qui s’assume comme tel. Il aurait fait aboyer M. Copé ? La belle affaire ! M. Copé aboie de toute façon, et le Medef promet de se durcir. À la télévision, le Président de gauche aurait pu annoncer une grande réforme fiscale, simple, progressive et progressiste, au lieu d’abuser l’opinion avec sa tarte à la crème des 75 %. Il aurait pu défendre vraiment le système de retraite, au lieu de proposer une réforme hypocrite qui va appauvrir les uns et contraindre les autres à recourir à des assurances privées. Il aurait pu abonder cette banque d’investissement qui devait irriguer notre économie réelle et qui n’est guère plus qu’une arnaque. Il aurait pu s’attaquer vraiment aux licenciements boursiers, et décider tant d’autres mesures contre le chômage que suggèrent dans les pages suivantes plusieurs personnalités de gauche. Il aurait pu renoncer à cet accord national interprofessionnel (ANI), nouvelle arme de guerre des libéraux dans l’entreprise. Ou, à tout le moins, permettre aux parlementaires socialistes de le modifier profondément au cours du débat qui s’est ouvert mardi 2 avril. Il n’a évidemment rien fait de tout ça. Son refus d’assumer l’épithète socialiste aurait pu n’être qu’anecdotique. On voit bien qu’il est lourd de sens.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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