Crime and The City Solution : mur du son et airs de cathédrale

Retour plein de panache de Crime and The City Solution après une très longue absence.

Jacques Vincent  • 16 mai 2013 abonné·es

La découverte du Birthday Party de Nick Cave puis de la suite avec les Bad Seeds a été accompagnée de celle d’une cosmogonie d’astres noirs gravitant autour de ce noyau électrique. Pour la bonne raison que beaucoup de musiciens jouaient dans plusieurs groupes en même temps, éventuellement d’un instrument différent suivant le groupe, ou partaient pour monter leur propre formation, qui s’ajoutait à cette constellation. Ainsi Blixa Bargeld, guitariste des Bad Seeds, était également le leader du très bruitiste et industriel Einstürzende Neubauten. Et Rowland S. Howard, l’un des fondateurs du Birthday Party, avait quitté les Bad Seeds pour rejoindre Crime and The City Solution, groupe dans lequel jouait également Mick Harvey, tout en conservant, lui, sa place aux côtés de Nick Cave. Roland S. Howard allait, quelque temps plus tard, former These Immortal Souls, une planète de plus dans cet univers singulier.

De tous, Crime And The City Solution était sans doute le plus proche des Bad Seeds. Tout comme ces derniers, on peut d’ailleurs le voir dans une scène des Ailes du désir, de Wim Wenders, interpréter un morceau sur scène et faire danser Solveig Dommartin sous le regard protecteur et amusé de Bruno Ganz. Le son est caverneux, Rowland S. Howard, clope au bec, tourne sans arrêt sur lui-même et jette les accords comme s’il s’agissait des lambeaux sonores arrachés de sa guitare. Simon Bonney, le chanteur, la voix en surplomb, use déjà de ce mode incantatoire qui restera sa marque personnelle. Initiateur du groupe, Simon Bonney a toujours été le seul élément stable de Crime and The City Solution, qui a existé, sous plusieurs formes, entre 1977 et 1990. Après plus de vingt ans d’absence, le groupe est aujourd’hui de retour. Outre Simon Bonney, toujours aux commandes, ne reste de la version précédente que Bronwyn Adams (violon) et Alexander Hacke, ex-Einstürzende Neubauten (guitare). Les ont rejoints David Eugene Edwards, leader de 16 Horsepower, et trois membres d’un groupe australien, les Dirty Three. La musique, elle, n’a pas fondamentalement changé. Elle a, en revanche, gagné une force impressionnante. La voix profonde de Simon Bonney domine une construction sonique formée d’une accumulation d’instruments : guitares, violon, claviers, cuivres, chœurs, batterie toute en roulements. La méthode consiste à créer une masse compacte et dense en superposant les lignes de front, proposant une nouvelle version du mur du son, mur parfois tellement épais qu’il donne à certains morceaux des airs de cathédrale et prête à d’autres des intentions symphoniques (« Domina »). Ce n’est pourtant pas dans cette catégorie que se situe le meilleur d’entre eux, le plus saillant. Il s’intitule « The Colonel » et, comme si la structure avait soudain explosé, il est au contraire fait d’éclats, de déchirures, de morceaux épars en suspension dans la nuit qui s’agrègent miraculeusement au moment du refrain, propulsés par les coups de boutoir sourds et répétés d’une batterie absente le reste du temps.

Le morceau est aussi typique des longs formats dans lesquels le groupe excelle et donne toute sa mesure, et de sa prédilection pour le clair-obscur et les ruptures, se rapprochant parfois du silence pour mieux lancer ses débordements sonores. La partie la plus remarquable d’un disque qui ne l’est pas moins, à la mesure d’un groupe aussi formidable que singulier. Ses fans des années 1980 seront heureux de le retrouver à ce niveau. Les autres pourraient bien y voir une révélation enthousiasmante.

Musique
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