Jérôme Cahuzac : ce n’est qu’un début…

Le récit de Fabrice Arfi laisse entrevoir que l’affaire réserve encore son lot de surprises.

Denis Sieffert  • 30 mai 2013 abonné·es

Le livre de Fabrice Arfi est d’abord le récit d’une enquête journalistique exemplaire par son principal artisan. Le journaliste de Mediapart assemble devant nous les pièces du puzzle, depuis ce jour de juin 2010 où, enquêtant sur l’affaire Bettencourt, il a comme une « intuition » en entendant Jérôme Cahuzac vanter l’honnêteté d’Éric Woerth. Quels liens entretient celui qui est alors président de la commission des Finances de l’Assemblée avec le ministre du Budget de Nicolas Sarkozy en délicatesse avec la Justice ? Le journaliste ne tardera pas à comprendre. Deux ans et demi plus tard, Arfi révèle l’existence du compte suisse non déclaré de Cahuzac, devenu ministre du Budget de François Hollande. Commence alors une bataille à l’issue incertaine contre un homme qui ne manque pas d’estomac, flanqué d’une armée de communicants (les techniques du clan Fouks sont édifiantes), et, hélas, contre certains médias, comme ce journaliste du Journal du Dimanche empressé de conclure que « les Suisses blanchissent Cahuzac ».

Au-delà de la plongée dans l’univers de ces banques qui font commerce de fraude fiscale, c’est aussi le portrait d’un homme qui se dessine. L’histoire remonte au début des années 1990, quand le jeune conseiller au ministère de la Santé noue des relations qui ne tarderont pas à lui être profitables. Le politique, ami du lobby pharmaceutique, est à la croisée de tous les chemins. Arfi décrit les liens étroits de l’homme de pouvoir avec la société de lobbying PR International. « Si Jérôme Cahuzac a ouvert un compte à l’UBS en 1992, était-ce pour accueillir des subsides non déclarés de cette activité ? », s’interroge le journaliste. Apparemment, le conseiller de Claude Evin n’est pas inefficace. Pour preuve, le sort de ce médicament contre l’asthénie qui, contrairement à tous les produits concurrents, échappe miraculeusement au déremboursement et permet au laboratoire Innothera d’empocher un chiffre d’affaires record. Sans doute par le plus grand des hasards, Jérôme Cahuzac se retrouve à passer ses vacances sur le yacht de 37 mètres de long du patron d’Innothera… S’il fallait une note d’espoir, on la trouverait dans l’attitude de ce fonctionnaire de l’administration fiscale qui n’hésite pas à convoquer son ministre pour l’interroger sur ses turpitudes financières. En refermant le livre de Fabrice Arfi, on se dit que le plus grave, dans cette affaire, n’est pas que les amis politiques de Cahuzac aient eu tous les moyens de « savoir », mais qu’ils aient trouvé normal que ce personnage sulfureux soit en charge dans un gouvernement de gauche de la lutte contre l’évasion fiscale. Cette banalisation est peut-être le signe qu’il y a d’autres Cahuzac dans les parages.

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