Les conseillers du pire

Des économistes pour qui tout va mal à cause des « rigidités structurelles ».

Christophe Ramaux  • 16 mai 2013 abonné·es

Le Conseil d’analyse économique a été créé en 1997, sous Jospin. Initiative louable puisqu’il est supposé œuvrer par la « confrontation des points de vue » (art. 1 de ses statuts). Mais, d’année en année, c’est peu dire que la confrontation s’est réduite. Le nouveau Conseil, nommé par Ayrault, avait surpris par sa composition : d’une part, une palanquée d’économistes rabâchant sans cesse que tout va mal à cause des « rigidités structurelles » (droit du travail, protection sociale, etc.) et, parmi les autres, aucun macroéconomiste keynésien. Comme si la faillite du néolibéralisme depuis 2007 n’avait pas eu lieu. Les premières publications du Conseil confirment malheureusement les craintes. Avec manifestement une obsession : les rigidités du marché du travail.

Trois des cinq notes publiées jusqu’à présent abordent ce sujet. La première s’intitule « Comment compléter l’euro ? ». Parmi les propositions : la possibilité pour le salarié d’opter pour un nouveau contrat de travail, européen et ultra-flexible (avec une assurance chômage européenne). La justification : « Empiriquement, on observe bien une relation positive entre le degré de protection de l’emploi et le taux de chômage. » Mais la note de bas de page, censée fournir les sources, dit l’inverse :  « La théorie économique est ambiguë sur la relation entre protection de l’emploi et chômage. » Les deux notes suivantes ne s’embarrassent pas de cette nuance. L’une, « L’emploi des jeunes peu qualifiés en France », explique que « le salaire minimum nuit indiscutablement à l’emploi des jeunes les moins qualifiés ». Solution préconisée : accroître encore plus les exonérations de cotisations sociales et introduire une « rupture du contrat de travail » « simplifiée », au-delà de ce que propose déjà l’ANI. La suivante, « La dynamique des salaires par temps de crise », fustige le coût du travail, qui a trop augmenté par rapport à la productivité, et ce depuis 2008 [^2]. Ce serait « une cause majeure de la détérioration de l’emploi ». Les solutions : « Être plus sélectif dans les extensions des accords de branche », amplifier les « clauses dérogatoires » autorisant des « salaires inférieurs », favoriser « la satisfaction au travail hors salaire » (sic) et, enfin, utiliser l’inflation comme arme de baisse des salaires, comme le proposait déjà l’ultralibéral Milton Friedman [^3].

Revenons sur le diagnostic. Il est vrai que la productivité du travail a tendance à stagner depuis cinq ans. Mais pourquoi ? Les auteurs ne s’interrogent pas sur ce point essentiel. Il y a une explication keynésienne : la crise du modèle néolibéral, en 2008, s’est traduite par une chute de la demande, le néolibéralisme la soutenait par la dette privée en lieu et place des salaires ! Provisoirement enrayée grâce aux plans de relance, cette chute a repris en Europe sous l’effet des plans d’austérité. Lorsque la demande chute, la production chute. Et les gains de productivité se contractent [^4]. Les entreprises n’ajustent pas immédiatement en proportion leurs effectifs à la baisse, et la productivité résulte pour une part de la croissance elle-même, c’est la loi de Kaldor-Verdoorn : investissements et innovations, par exemple, sont moins importants en phase de récession. Réduire les salaires dans ce contexte précipiterait encore la chute de la demande. C’est ce que vivent la Grèce, l’Espagne ou le Portugal. 

[^2]: Philippe Askenazy, économiste atterré, a cosigné cette note. De ce côté-ci, au moins, il y a « confrontation des points de vue ».

[^3]: Friedman retourne un argument de Keynes contre lui : l’inflation permet de réduire les salaires réels et donc d’augmenter l’emploi (ce que Keynes rejette, le chômage provenant d’une insuffisance de la demande).

[^4]: Depuis trois ans, le taux de marge des entreprises baisse pour la même raison.

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