Liêm Hoang Ngoc : « Il faut un tournant de la relance »

Liêm Hoang Ngoc défend une autre politique économique pour la deuxième année du quinquennat de François Hollande.

Thierry Brun  • 23 mai 2013 abonné·es

Lors de sa conférence de presse du 16 mai, François Hollande a présenté sa politique économique et sociale en annonçant un « an II du quinquennat » sous le signe de « l’offensive » européenne pour relancer la croissance. Or, une partie de la gauche estime que la France est engluée dans une zone euro paralysée par sa politique d’austérité, l’entrée en récession du pays signant l’échec de cette politique. Liêm Hoang Ngoc, député au Parlement européen, membre du bureau national du PS, donne ici une lecture critique des initiatives annoncées par le chef de l’État.

L’État a démontré sa crédibilité budgétaire, ce qui lui a permis d’obtenir un délai pour atteindre l’objectif de réduction des déficits publics, affirme François Hollande. Est-ce la bonne manière d’aborder la crise ?

Liêm Hoang Ngoc :  Dans la loi de finance rectificative et la loi de finance 2013, la France a réalisé un effort structurel de près de 30 milliards (1,5 point de PIB) en mettant avant tout à contribution les hauts revenus et en évitant de comprimer la dépense publique et de taxer les ménages modestes. La réduction du déficit structurel, demandée par le TSCG, est donc enclenchée. Se préoccuper essentiellement du déficit structurel conduit logiquement à considérer que la montée conjoncturelle du déficit courant, en période de récession, n’est pas préoccupante car elle est de nature à soutenir la reprise. La Commission européenne se rend finalement compte que l’austérité qu’elle prône depuis deux ans n’est pas étrangère à la récession que subit la zone euro. On prend enfin conscience que le « multiplicateur budgétaire » existe. Toute compression de la dépense publique exerce un effet récessif. Tout maintien de la dépense stimule la reprise. Il reste à convaincre l’Europe entière que l’heure est à un tournant de la relance. En régime de monnaie unique, la contrainte extérieure (dommageable en 1981) n’existe plus entre les pays de la zone euro. La spéculation s’exerce désormais sur les dettes souveraines. C’est pourquoi un tournant de la relance doit être coordonné au sein de la zone euro. C’est ce débat qui doit être mis à l’ordre du jour des sommets européens.

Que pensez-vous de l’initiative européenne d’un « gouvernement économique », lancée par François Hollande ?

Une relance coordonnée nécessite plus qu’un gouvernement économique, elle demande un véritable gouvernement politique européen. Nos concitoyens sont sceptiques car l’Europe est actuellement synonyme de régression sociale et, de surcroît, devient le théâtre d’une démocratie confisquée. Il faut donner du pouvoir au Parlement européen, seule institution européenne directement élue au suffrage universel. Celui-ci doit contrôler les propositions formulées par la Commission et être codécisionnaire, avec le Conseil, sur tous les sujets. Cela aurait évité l’épisode chypriote, où les représentants des États membres, au Conseil, ont oublié qu’il existe depuis 2006 une directive garantissant les dépôts inférieurs à 100 000 euros. Cela aurait évité le compromis au rabais sur les perspectives financières pluriannuelles 2014-2020. Cela permettrait l’harmonisation fiscale, concrètement proposée par le rapport d’initiative parlementaire portant sur l’assiette commune et consolidée de l’impôt sur les sociétés, etc. Encore faut-il que les progressistes soient majoritaires et qu’ils fassent bloc au Parlement.

Les choix de la réforme du marché du travail et du pacte de compétitivité pour les entreprises, avec l’objectif d’inverser la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année, vous semblent-ils aller dans le bon sens ?

Le pacte de compétitivité a pour objectif de rétablir le taux de marge des entreprises pour leur permettre d’investir, notamment dans les secteurs innovants. La « flexisécurité » vise à favoriser la mobilité des travailleurs vers ces secteurs, tout en sécurisant leurs parcours professionnels. Pour autant que cette stratégie soit cohérente, son succès dépend de la propension qu’auront les entreprises à utiliser le crédit d’impôt de 20 milliards pour investir. Or, l’investissement est aujourd’hui plombé par une demande atone. Tous les pays européens ont, nous dit-on par ailleurs, réformé leur marché du travail. Mais les études de l’OCDE indiquent qu’il n’existe aucune relation entre « la législation protectrice de l’emploi » et les performances économiques des pays. Le chômage est avant tout lié aux fluctuations d’une conjoncture sur laquelle les réformes structurelles sont, à l’évidence, en passe d’exercer un impact récessif durable : si tous les pays jouent la déflation salariale et la contraction de la dépense publique, le jeu est à somme négative, tant la demande intérieure européenne pâtit alors de la baisse généralisée du pouvoir d’achat.

François Hollande compte aussi sur un « plan d’investissement » pour les dix ans qui viennent, financé à partir des crédits européens et de plusieurs mesures, dont le relèvement du plafond du Livret A et les cessions de participations publiques. Cette dernière mesure va-t-elle de soi ?

Il existe en France une épargne abondante qu’il faut drainer vers l’investissement. Notre pays dispose pour cela de l’épargne réglementée. Il faut l’amplifier pour orienter les ressources financières vers le développement durable. La cession des participations publiques est en revanche une très mauvaise idée. Elle constitue un « one shot » du point de vue de la collecte de recettes et aura un effet marginal sur le déficit structurel de long terme. À l’heure où le rôle de l’État-stratège en matière industrielle redevient crucial, ces cessions entameront malheureusement les noyaux durs de nos entreprises stratégiques. Quant aux projets européens d’investissement, ils nécessitent le déploiement d’un véritable budget d’investissement européen, financé par des ressources propres et pérennes (impôt et emprunt européens), ce qui nécessitera, le moment venu, une modification des traités, comme l’a d’ailleurs évoqué le président de la République.

Dans les réformes de soutien à la croissance, François Hollande a évoqué la réforme des retraites, conduite « en lien avec la trajectoire de retour à l’équilibre des comptes publics ». Cela résoudra-t-il les problèmes de déficit et de croissance ?

On dramatise à souhait le débat sur les retraites en avançant le chiffre d’un déficit courant de 20 milliards d’euros (1 point de PIB). Le TSCG invite à raisonner en termes de déficit structurel. Eh bien, chiche ! Selon les estimations les plus raisonnables, le déficit structurel du régime de retraite ne serait que de l’ordre de 4 milliards. On doit pouvoir le résorber sans trop de sang et de larmes. Certains économistes avancent même que le régime est structurellement équilibré. Le déficit qui prévaut est essentiellement conjoncturel. Il doit servir d’amortisseur de crise et peut être financé par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

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