Annie Ernaux à Yvetot (À flux détendu)

La petite ville du pays de Caux figure dans trois des livres de l’écrivain, qui y a vécu toute son enfance.

Christophe Kantcheff  • 6 juin 2013
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Connaissez-vous Yvetot ? Son syndicat d’initiative a fort à faire depuis que Flaubert a écrit dans sa Correspondance qu’elle est « la ville la plus laide du monde ». Réputation imméritée bien sûr, d’autant que le misanthrope de Croisset ajoutait « après Constantinople ». Mais Yvetot peut aussi se prévaloir de relations particulières avec un autre écrivain, contemporain : Annie Ernaux. La petite ville du pays de Caux figure dans trois de ses livres, la Place, Une femme, la Honte, sous la lettre Y. Annie Ernaux y a vécu toute son enfance jusqu’à ses 18 ans. Elle n’y était jamais retournée en tant qu’écrivain.

Ce fut chose faite il y a quelques mois, invitée à donner une conférence qui est aujourd’hui publiée : Retour à Yvetot (éd. du Mauconduit, 78 p., 9 euros). Écouter Annie Ernaux s’exprimer sur son travail (car l’oralité ne s’est pas perdue dans la transcription) est toujours un plaisir fécond. Elle ajoute de l’intelligence à notre lecture de ses livres. En l’occurrence, elle parle à partir de cette ville en tant que lieu matriciel de son œuvre, où se situent ses souvenirs d’enfance et de formation. « Cette mémoire-là est liée à ce que j’écris, de façon consubstantielle », dit-elle.

Elle évoque en particulier ce souvenir fort où, à l’école, une de ses camarades ne supportait pas que quelqu’un sente l’eau de Javel. Ce quelqu’un était Annie Ernaux, la Javel étant chez ses parents, anciens ouvriers devenus commerçants, le moyen de la propreté. Une humiliation d’ordre social, qui lui a fait prendre cruellement conscience des antagonismes de classe. Elle explique aussi comment elle a inscrit dans son écriture le fait qu’elle ne vient pas du monde distingué et littéraire. Comment elle a intégré des expressions populaires et cherché à dépasser son simple « moi ». Marquant sa fidélité à son milieu d’origine, construisant ainsi l’une des grandes œuvres de notre temps.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes
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