Attention, Google te voit !

Les «Google Glass» lunettes intelligentes et interactives ne seront pas en vente avant 2014, mais quelques centaines d’heureux développeurs ont pu acheter le joujou à 1 500 dollars pour imaginer les usages de rêve ou de cauchemar de demain.

Christine Tréguier  • 5 juin 2013
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Attention, Google te voit !
Photo : JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Google avale le monde, aspire vos requêtes et vos activités sur le Net, sait ce que vous y lisez, il gère vos mails et vos « nuages » privés et professionnels. Bref Google est votre ami mais veut être encore plus près de vous. Avec ses fameuses Google Glass, il a bien l’intention de se glisser dans la tête de chacun de vous et ne plus vous lâcher. Ces lunettes – dites « Glass » si vous voulez avoir l’air branché – ne seront pas en vente avant 2014, mais quelques centaines d’heureux développeurs ont pu acheter le joujou à 1 500 dollars pour imaginer les usages de rêve ou de cauchemar de demain.

Le principe est de superposer au réel, grâce à un petit écran placé devant un œil, une projection d’informations graphiques complémentaires – un google-plan du quartier, votre google-agenda, vos google-mails et comptes sur les réseaux sociaux ou une google-recherche, chaque item étant accessible par commande vocale via votre smartphone ou votre tablette reliés à Glass. Cerise sur le gâteau, une caméra est insérée dans la monture pour prendre des images, des vidéos, voire capter sa life et montrer tout ce qu’on fait à son « réseau d’amis ».

La technologie ne date pas d’hier. Elle a été mise au point par des universités américaines dans les années 1990, quand la « réalité virtuelle » faisait le buzz. Sauf qu’aujourd’hui les réseaux 3G et 4G et les terminaux mobiles permettent une géolocalisation fine et l’accès à Internet (presque) partout, du moins en zone urbaine. Et que, si vous activez la caméra, Google dit pouvoir envoyer, à la demande, des informations contextuelles sur à peu près tout ce que vous voyez.

De quoi inquiéter et se dire que ces Glass constituent une menace potentielle pour la vie privée. Pour celle du porteur de lunettes tout d’abord : ce qu’il regarde (et entend), ses déplacements et les lieux où il va seront connus et pourront donner lieu à du placement publicitaire individualisé – une spécialité qui a fait la fortune de Google. Pour celle des autres aussi, puisque dans le champ visuel du porteur il y aura évidemment les personnes avec qui il est, celles avec qui il a rendez-vous, celles qu’il croise, observe ou surveille. Le risque d’être espionné sans le savoir dans l’espace public par des dizaines de « Glasseurs » est bien réel. Celui de se retrouver à la merci de maniaques s’improvisant espion, little brother ou paparazzi aussi.

Autre question : celle de la propriété de ces flux d’images. Google pourra ainsi numériser non seulement l’espace public mais aussi les espaces privés et collecter des monceaux d’images sans devoir répondre à d’éventuelles atteintes au droit à l’image ou à la vie privée, puisque ce n’est pas lui qui filme, mais ses utilisateurs. Et quelle sera la politique de Google si la police se pique de réquisitionner ces images, parce qu’elle en aurait la possibilité, donc de facto le droit ? 

Illustration - Attention, Google

Quid de l’utilisation des lunettes à vélo, en voiture ou dans les transports en commun ? Aux États-Unis, la West Virginia prévoirait déjà une loi pour interdire le port de cette prothèse au volant. Quid du lien social, déjà fort entamé par le portable qui accapare l’attention et abstrait de l’environnement immédiat ? Comment les passagers/voisins cohabiteront-ils avec ceux qui déambuleront en dictant leurs mails ou en passant leur commande de supermarché à leur Glass ? Sans omettre les très sérieuses questions de fatigue oculaire (ou pire) et d’addiction à ce monde enrichi et rassurant où Google vous pilote. On n’ose même pas imaginer les scènes de manque et de terreur les jours de panne…

La firme de Mountain View, qui décidément a bien choisi son nom, n’entre pas dans ces détails bien trop prosaïques, Google se contente de voir loin. Il espérerait vendre quelque dix millions de lunettes d’ici à 2016. Ses arguments sont assez bien résumés par son fondateur, Serge Brin : «   Euh… nous voulons libérer les gens » ou par son ex-président, Eric Schmidt : «  Notre objectif est de rendre le monde meilleur. » «   Nous prendrons en compte les critiques au fur et à mesure , mais elles sont inévitablement le fait de personnes qui ont peur du changement, ou qui ne se rendent pas compte que la société s’y adaptera   » , ajoute-t-il. Traduction : ceux qui résistent sont juste des « vieux cons »…

On retrouve là l’esprit des slogans affichés en 4 x 6 dans la ville par toutes ces entreprises converties au high-tech et soucieuses comme jamais de votre bien-être : « Nous améliorons votre expérience et votre vie numérique.   » Après l’ère du « client roi » dans les années 1980, voici venir celle de l’ « utilisateur libéré », qu’il le veuille ou non, des contraintes du quotidien grâce au miracle des TIC. Outils et applications sur mesure seront à son service pour exaucer tous ses désirs… à condition qu’il ne leur cache rien de sa vie. En résumé, ce sera : adapte-toi et mets-toi à poil ou crève.

Mais on pourrait également retourner le propos de Schmidt et dire que le changement proposé est effrayant, l’adaptation peu souhaitable, et que ceux qui le critiquent ont raison de dénoncer les intentions ambiguës de ces faiseurs de monde meilleur… et de gros profits.

La réalité améliorée version Google :

…et détériorée et truquée version anti-Google Glass :


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