La fin du mythe brésilien

Pas dupe des avancées enregistrées ces dernières années, la population aspire au progrès social.

Patrick Piro  • 26 juin 2013 abonné·es

Des centaines de milliers de Brésiliens descendus dans la rue, et des politiques qui bafouillent, des élites prises de court, des analystes perplexes : personne n’a vu venir le coup. Il faut dire que le Brésil est devenu, depuis une décennie, le sujet d’une belle fable progressiste : ce pays aux immenses richesses, mais l’un des plus inégalitaires au monde, a élu l’ex-ouvrier Lula à sa tête, a fait reculer la pauvreté, rivalise presque en croissance économique avec les pays asiatiques, et s’est vu attribuer des événements sportifs majeurs – Coupe des confédérations (actuellement) et Mundial 2014 pour le football, JO en 2016. Mais que demande le peuple ? «  Il faut mater ces délinquants », ont hâtivement jugé des politiques et des éditorialistes convaincus par ce mythe. D’autant que la « chienlit » est en majorité fomentée par la classe moyenne. Ces manifestants ont protesté contre la hausse du tarif des bus, même s’ils ne font pas partie des millions de travailleurs pauvres qui l’ont subie de plein fouet, exilés à trois heures des bassins d’emploi. Et les mots d’ordre exigent désormais des services publics dignes de ce nom, la fin de la corruption, plus de démocratie – dénonçant in fine la confiscation du progrès social par les élites au pouvoir, après de premières avancées qui ont fait illusion, mais qui n’avaient surtout que trop tardé.

À São Paulo, Rio, Curitiba ou Fortaleza, la rue provoque l’effondrement d’un mythe en carton-pâte, qui a d’abord servi à rassurer les investisseurs étrangers : le Brésil reste un pays émergent aux insuffisances béantes. Peu importe que le mouvement soit hétéroclite et son avenir incertain : il a déjà gagné une portée historique en signant l’accession des Brésiliens à une maturité démocratique. La mobilisation, sur Internet, est insensible au carcan des grands médias, aux mains du pouvoir économique. Elle raille les esprits attardés qui lui demandent une trêve pour respecter la Coupe des confédérations, comme si le peuple devait dévotion inconditionnelle au dieu football. Et elle s’est affranchie des organisations politiques, ce qui n’est pas la moindre des sanctions pour le PT au pouvoir. Ce « printemps brésilien » marque une fin de cycle pour le Parti des travailleurs de Lula et de la Présidente Dilma Roussef, rangé depuis longtemps aux raisons du libéralisme et devenu incapable d’incarner les revendications de mieux-être de la population. Les aspirations éthiques de juin 2013 pourraient ainsi augurer d’un renouveau politique au Brésil.

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