Taxe Tobin : les banquiers veulent sa peau

Le gouvernement français préparerait-il une nouvelle reculade ?

Thomas Coutrot  • 6 juin 2013 abonné·es

Enfin une victoire ! C’est ce que nous avions cru en janvier dernier, quand onze pays de la zone euro avaient adopté la taxe sur les transactions financières (TTF) dans le cadre d’une « coopération renforcée ». Cette décision s’appuyait sur le projet de TTF, présenté en 2011 par la Commission européenne, et qu’Attac et les associations spécialisées avaient accueilli plutôt favorablement parce qu’il prévoyait de taxer tous les produits financiers dérivés, lesquels ont nourri une spéculation débridée pendant quinze ans, et malgré l’exclusion peu compréhensible du marché des devises. Une victoire car, avec sa mise en place prévue fin 2014, cette taxe aurait eu deux effets concrets positifs : dégonfler environ de moitié le montant des transactions financières, et rapporter 30 milliards d’euros aux États participants. Mais les banquiers ne l’entendent pas de cette oreille. Le 15 avril, le Medef et la Fédération française des banques mettent en garde Pierre Moscovici contre une taxe « destructrice de richesse », qui « affaiblira gravement la compétitivité des entreprises ». Les banquiers se répandent alors en prédictions grotesques : Laurent Mignon, de Natixis, affirme que la taxe coûtera 7 milliards d’euros par an à son établissement : « Un montant supérieur à notre chiffre d’affaires, ça n’a pas de sens ! » Jean-Yves Hocher, du Crédit agricole, ne craint pas d’évoquer le chiffre de 17 milliards d’euros pour sa seule banque. Soit, pour ces deux établissements français, la quasi-totalité des montants prévus pour l’ensemble des onze pays ! La palme de la créativité littéraire revient à Hakan Wohlin, de la Deutsche Bank, pour qui la TTF « jette du sable » non pas dans les rouages de la spéculation, comme le disait Tobin, mais « dans un moteur de Mercedes »

Et les banquiers centraux viennent à la rescousse. Après Jens Weidmann, président de la Bundesbank, Christian Noyer, président de la Banque de France, s’alarme : le projet « ne rapporterait rien du tout » car il « aurait pour effet soit d’entraîner une délocalisation de ces opérations  […], soit de renchérir très fortement les coûts de financement des États et des entreprises ». Christian Noyer conclut : « Dès lors que les États ont un objectif politique (comprendre : d’affichage politique), il faut trouver les moyens de faire une taxe qui probablement ne rapportera pas grand-chose, parce que ce n’est pas possible autrement… » Benoît Cœuré, autre oligarque de Bercy et gouverneur de la BCE, se déclare prêt à « aider les gouvernements et la Commission » à repenser un projet dangereux.

Interrogé le 28 mai à l’Assemblée nationale sur la position française, Pierre Moscovici se veut rassurant : « La France veut aller vite et fort. » Mais il ajoute à la confusion en déclarant que le « projet de la Commission est de valeur mais peut, doit encore, être amélioré », et en évoquant « une assiette large qui porte évidemment sur les devises, c’est la taxe Tobin, mais aussi sur certaines transactions sur   les produits dérivés ». Alors que, justement, le projet de la Commission excluait les devises mais incluait tous les dérivés? Le gouvernement français préparerait-il une nouvelle reculade sous la pression des banquiers ?

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes