Un patron (très) proche du pouvoir

Pierre Gattaz, qui succédera le 3 juillet à Laurence Parisot à la tête du Medef, incarne le retour au premier plan des très influents dirigeants de l’industrie, capables d’entretenir des relations étroites avec le gouvernement.

Thierry Brun  • 27 juin 2013 abonné·es

Le Medef serait-il devenu le principal supporter du gouvernement de Jean-Marc Ayrault ? Assuré d’être intronisé à la présidence du mouvement le 3 juillet, Pierre Gattaz, PDG de Radiall, groupe sous-traitant de l’aéronautique, a récemment livré une inhabituelle profession de foi politique. Le Medef devra « accompagner encore plus » l’inflexion vers la social-démocratie menée par le gouvernement, déclare le futur patron des patrons, le 13 juin, lors d’une conférence de presse avec, à ses côtés, ses ex-concurrents, Patrick Bernasconi et Geoffroy Roux de Bézieux, qui seront vice-présidents délégués de l’organisation patronale. « [Cette inflexion] nous intéresse beaucoup car c’est ce qu’a fait Schröder à une époque », ajoute Pierre Gattaz, faisant référence au vaste programme de réformes économiques et sociales de l’ex-chancelier allemand, mis en place entre 2003 et 2005. Pour l’homme fort du patronat, le gouvernement irait donc dans le bon sens. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Pierre Gattaz incarne une ligne dure, celle du Medef dans la pure tradition des grandes familles d’industriels : l’homme préside le Groupe des fédérations industrielles (GFI), un discret et puissant lobby qui regroupe les plus importantes fédérations industrielles membres du Medef [^2]. Il est aussi capable de compromis tant qu’il ne s’agit pas de mettre en cause l’ordre économique libéral insufflé par Denis Kessler. L’ancien numéro deux et idéologue ultralibéral, qui a participé à la transformation de l’organisation patronale à la fin des années 1990, a apporté un soutien de poids à Pierre Gattaz, à la fin de sa campagne pour la conquête du Medef.

Sitôt son élection à la présidence du Medef acquise, Pierre Gattaz a déjà prévu de proposer au gouvernement que l’organisation patronale « pilote le projet de loi de finances 2014 » avec lui. Le futur patron des patrons l’a annoncé – avant même de savoir qu’il avait gagné la partie – lors d’un entretien aux Échos (21 mai) explicite sur la feuille de route qu’il voudrait fixer au gouvernement : « Supprimer tous les impôts qui sont surtout des symboles politiques dogmatiques » (taxe à 75 % sur les hauts revenus, ISF) ; « transférer 50 milliards d’euros de charges sur le travail vers la fiscalité », pour moitié par une hausse de « 3 points de TVA » (cotisations familiales) et pour l’autre moitié par une baisse des dépenses publiques (cotisations maladie). Auparavant, un autre candidat, Thibault Lanxade, PDG d’Aqoba, avait proposé que les futurs ministres soient préalablement auditionnés avant leur nomination par les partenaires sociaux, le Medef ayant un droit de veto ! L’organisation patronale ne cache plus guère sa volonté de gouverner le pays.

Soutenu aussi par l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) et la Fédération bancaire française (FBF), le futur patron des patrons peut, dans la même phrase, prédire le retour d’un « Medef de combat » et affirmer qu’il ne sera « pas contre le gouvernement mais contre la crise ». Pierre Gattaz manie l’art habile de la pirouette politique, hérité de son père, Yvon Gattaz, lequel a présidé de 1981 à 1986 le CNPF, ancêtre du Medef. Lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir, Gattaz père avait su dompter la méfiance des chefs d’entreprise et rassurer le gouvernement, en déclarant : « Le patronat ne pratiquera pas une politique de la terre brûlée. » Les relations furent cependant musclées : « Dans l’incontestable et paradoxal processus de réhabilitation de l’entreprise qui s’est mis en place au cours des années 1980, les échanges cordiaux mais sans compromis entre Mitterrand et Gattaz ont joué un rôle important », témoigne Bernard Giroux, ancien permanent de l’organisation patronale [^3]. En 1982, période délicate pendant laquelle le gouvernement du Premier ministre Pierre Mauroy prépare son premier plan de rigueur, Yvon Gattaz sera reçu pas moins de « sept fois en tête à tête par le chef de l’État, contre deux fois pour Bergeron  [FO], une fois pour Edmond Maire  [CFDT] et aucune rencontre pour Henri Krasucki  [CGT], qui, cette année-là, succédait à Georges Séguy », souligne Bernard Giroux. Homme d’influence à l’Élysée et initiateur du grand rassemblement des chefs d’entreprise en 1982, Yvon Gattaz s’est aussi illustré en développant une pensée antisociale : « Les syndicats ont été nécessaires au XIXe siècle, utiles puis abusifs au XXe. Inutiles et nuisibles au XXIe, ils doivent disparaître. » Les salariés de Radiall en savent quelque chose : patron de l’entreprise familiale, le fils a appliqué cette vision particulière de la démocratie sociale (voir p. 20). Et, sur le plan national, Pierre Gattaz ne cache pas son rejet des négociations interprofessionnelles et a fortiori de nouvelles lois protectrices des droits sociaux. François Hollande et le gouvernement ** n’ignorent rien de la pensée profonde de Gattaz junior. Cela n’a pas empêché le Président de se rendre dans l’une des usines de Radiall en décembre 2012. François Hollande a aussi décoré le père, lui remettant en avril l’insigne de grand-croix de la Légion d’honneur. Les Gattaz sont loin d’être des inconnus dans les coulisses de l’exécutif, très à l’écoute des industriels. Le GFI, que Pierre Gattaz préside depuis 2010, et le Cercle de l’industrie, autre lobby qui accueille des grands patrons du CAC 40 et des socialistes dans ses rangs (voir encadré p. 22), ont fait cause commune pour imposer au gouvernement quelques-unes des propositions sur la compétitivité des entreprises.

Membre du Cercle de l’industrie, nommé par François Hollande commissaire général à l’investissement, Louis Gallois est l’un des VRP de luxe des industriels. L’ex-PDG d’EADS préside en effet la Fabrique de l’industrie, un think tank créé en 2011, dont les fondateurs sont le GFI, le Cercle de l’industrie et l’UIMM. Ces trois organisations ont inspiré le rapport de Louis Gallois présenté en novembre 2012, intitulé « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française ». Commandé par le chef de l’État, le rapport reprend des propositions du GFI, notamment la baisse des cotisations sociales (30 milliards d’euros dans le rapport) et le fameux « choc » fiscal réclamé de longue date par les patrons, en particulier Pierre Gattaz. Ces mesures ont été intégrées dans le « pacte gouvernemental pour la croissance et la compétitivité », dont le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi des entreprises (CICE), lors de sa présentation par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Alors que s’enchaînent les plans sociaux à répétition, les mesures de ce pacte ont permis de renforcer les relations cordiales entre le gouvernement et la grande industrie. Ainsi, une « rencontre des présidents » a été organisée le 10 juin entre grands patrons membres du Cercle de l’industrie, François Hollande, le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, et le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg. L’arrivée de Pierre Gattaz à la tête du Medef n’a pour l’instant suscité aucun commentaire de l’Élysée et de Matignon. Dans les coulisses, Jean-Marc Ayrault et François Hollande se réjouissent de la nomination d’un industriel qui ne sapera pas l’édifice social-démocrate de l’exécutif, mais sait défendre les intérêts des industriels : « Dès le 4 juillet, je rappellerai au gouvernement qu’il faut arrêter de nous asphyxier avec les prélèvements obligatoires et les charges », a prévenu le futur président du Medef. Ainsi, le CICE accordé par le gouvernement aux entreprises était « nécessaire, mais pas suffisant »  : « Il y a 50 milliards de trop sur le coût du travail. » Pierre Gattaz propose de « transférer 25 milliards sur la TVA », et « les 25 autres milliards pourraient être gagnés sur la protection sociale en général, en optimisant la gestion » (voir encadré p. 19). Exactement ce que le GFI réclamait en 2012 en parlant de « choc de compétitivité ». Radical, le patron des patrons ? Le choc de compétitivité et son cortège de mesures antisociales sont dans le rapport de Louis Gallois, l’homme de confiance du gouvernement.

[^2]: Le GFI représente 80 % de l’industrie en France, selon son rapport d’activité 2012-2013.

[^3]: Medef, confidences d’un apparatchik , Bernard Giroux, éditions l’Archipel, 2013.

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