La presse piégée par le régime syrien

À la fois témoignage et enquête, le livre de Caroline Poiron perce les secrets de la mort de Gilles Jacquier en Syrie.

Denis Sieffert  • 11 juillet 2013 abonné·es

Le 11 janvier 2012, le grand reporter de France 2 Gilles Jacquier trouvait la mort à Homs, ville importante de l’ouest de la Syrie. Sa compagne, la photographe Caroline Poiron, était sur les lieux au moment du drame. Dans un remarquable témoignage qu’elle cosigne avec deux autres journalistes eux aussi présents, Sid Ahmed Hammouche et Patrick Vallélian, elle relate les circonstances de la mort de Jacquier. Au centre de l’affaire, un personnage : une religieuse, mère Agnès. Celle-ci a joué le rôle de ce que l’on appelle dans le métier le « fixeur », celui qui guide et établit les contacts pour faciliter le travail du reporter. Mais l’attitude de cette femme n’a cessé d’éveiller les soupçons du groupe de journalistes qui, en la circonstance, avaient obtenu visas et autorisations officielles du régime de Damas. Souvent autoritaire, parfois menaçante, la religieuse a constamment tenté d’imposer aux journalistes un agenda et un itinéraire dont ils ne voulaient pas. Elle a particulièrement insisté pour que le groupe se rende à Homs, et spécialement dans un quartier tenu par les sbires du régime. Et, étrangement, elle s’est éclipsée après avoir conduit Gilles Jacquier, Caroline Poiron et leurs confrères dans l’immeuble qui allait être frappé par les obus dont l’un a sans doute été fatal au reporter de France 2.

Les auteurs remontent le fil des événements jusqu’à acquérir la conviction qu’ils sont tombés dans un véritable guet-apens. Les lecteurs de Politis ont pu lire dans le n° 1187 (26 janvier 2012) le récit de Jacques Duplessy, qui était lui-même à quelques mètres de Jacquier quand celui-ci a été tué. L’intuition de notre correspondant est plus que confirmée par le livre que cosigne Caroline Poiron. Un livre par ailleurs riche en informations sur les méthodes du régime syrien. Au fil de l’enquête, ressurgit l’étrange carmélite. « Un agent de renseignement » au service du régime, rapporte sans ambages un Syrien qui la connaît bien. C’est aussi l’avis du jésuite italien Paolo Dall’Oglio. Les témoignages se recoupent. La religieuse entre comme elle veut dans toutes les zones sécurisées. Les commanditaires de l’assassinat de Jacquier apparaissent de plus en plus clairement.

Le régime a-t-il voulu faire passer un message à la France ou dissuader la presse de venir témoigner de la répression à laquelle il se livrait contre l’opposition et la population ? C’est l’ultime question que l’on peut se poser en tournant la dernière page de l’ouvrage. Mais on ne rendrait compte qu’imparfaitement de ce livre si on ne soulignait pas la part de l’émotion. Caroline Poiron décrit avec tact ces moment terribles où elle veut croire que Gilles est vivant et où elle parle à ce corps déjà raidi qu’elle tient dans ses bras comme s’il était encore temps de le réconforter.

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