L’histoire et l’engagement

Martin Duberman propose une belle biographie d’Howard Zinn, inlassable militant.

Olivier Doubre  • 4 juillet 2013 abonnés

Howard Zinn (1922-2010) est d’abord connu, en France et ailleurs, pour son Histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours, devenue très vite le modèle d’une « contre-histoire », rejetant l’histoire traditionnelle ou officielle faite des seuls grands hommes, grands événements ou grandes dates. C’est justement sa conscience du caractère biaisé, ou du moins conservateur, des manuels traditionnels qui pousse Howard Zinn à s’atteler à la rédaction de son maître ouvrage. Or, en 1979, au moment où il est près d’en achever l’écriture, la sociologue de l’éducation Jean Anyon publie, dans la prestigieuse Harvard Educational Review, une étude qui fera date sur le contenu des dix-sept manuels d’histoire des États-Unis les plus utilisés, montrant combien, selon les termes du biographe d’Howard Zinn, Martin Duberman, ceux-ci « étaient extrêmement subjectifs, servant nettement les intérêts de la classe dominante »

Les conclusions de Jean Anyon viennent apporter de l’eau au moulin d’Howard Zinn, lassé de l’hypocrite positionnement de la majorité des historiens, censés œuvrer à leur discipline selon la fameuse « neutralité axiologique ». Aussi, n’hésitant pas à se démarquer de cette conception, Howard Zinn clamera avec force, en 1994, son positionnement en publiant l’Impossible Neutralité, autobiographie d’un historien et militant  [^2]. C’est sans doute son origine très modeste de fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est, ayant fui le shtetl, la misère et les pogroms pour New York, qui le fait regarder la société américaine et son passé différemment de nombre de ses collègues. Rien ne le prédestinait, d’ailleurs, à devenir historien. Ses parents, entre des périodes de chômage, sont payés à la journée ou à la pièce. Contrairement à ses trois frères, Howard a le goût de la lecture et termine ses études secondaires. Ses parents se sont débrouillés pour lui offrir de temps en temps des livres. Dickens, notamment, et ses romans criant l’injustice de l’industrialisation de l’Angleterre au XIXe siècle éveillent en lui « l’indignation contre l’arbitraire du pouvoir et la compassion envers les pauvres ». Dès l’âge de 14 ans, il travaille après l’école et tous les étés. Et n’envisage même pas d’aller à l’université. Mais ses lectures et, surtout, la fréquentation de jeunes prolétaires de son quartier, engagés au Parti communiste américain, lui font acquérir une conscience politique. Il s’indigne avec eux et veut combattre les régimes fascistes. Ce qui le pousse à s’engager dans l’armée, où il suit une formation d’aviateur. La guerre survenue, il bombarde l’armée allemande et la France occupée, contribuant à la libération de l’Europe. Une expérience qui le marque, puisqu’il découvrira plus tard combien quelques-uns de ces bombardements, dont certains au napalm, furent inutiles et meurtriers, ce qui nourrira plus tard son analyse et ses critiques contre la guerre du Vietnam.

Grâce à ce passage sous les drapeaux, Howard Zinn peut entrer à l’université, financée par l’armée. Il choisit l’histoire et publie au début des années 1950 une thèse remarquée sur le congressman et plusieurs fois maire de New York Firello LaGuardia, membre du Parti républicain mais fervent partisan du New Deal de Roosevelt. Le directeur d’un des rares colleges de jeunes filles noires à Atlanta l’embauche alors pour diriger le département de sciences sociales. Il découvre le Sud de la ségrégation et s’engage pleinement dans le mouvement naissant des droits civiques. Dès lors, il est de tous les combats pour l’égalité, Blanc dans un environnement ouvertement raciste. Il multiplie les actions, sit-in, manifestations et tentatives pour faire inscrire les Noirs sur les listes électorales. Comme à Selma (Alabama), en 1963, « bourbier raciste » où, avec l’écrivain James Baldwin, il participe à une marche pacifique et voit les étudiants noirs du Student Nonviolent Coordinating Committee arrêtés et passés à tabac par les hommes du shérif, sans que les agents du FBI n’interviennent. Toute sa vie, les recherches et les engagements de Zinn sont intimement liés : il publie d’abord un livre sur le Sud et les droits des Noirs, puis, dès 1967, un essai contre la guerre du Vietnam. Bien entendu, son dossier au FBI grossit sans cesse et il est de nombreuses fois arrêté lors de manifestations contre la guerre, le racisme ou pour le gel des armes nucléaires. Dans cette passionnante biographie, Martin Duberman décrit, sans verser dans l’hagiographie ni lui épargner certaines critiques, la vie et l’œuvre de ce personnage attachant et généreux, bourreau de travail autant pour sa discipline que pour les causes qu’il défendait.

[^2]: Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Cotton, Agone, 2006.

Idées
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