« Grand central » de Rebecca Zlotowski : L’amour en fusion

Dans Grand Central, Rebecca Zlotowski mêle les risques du cœur et ceux du nucléaire.

Christophe Kantcheff  • 29 août 2013 abonné·es

Rebecca Zlotowski aime les protagonistes attirés par le danger. Dans Belle Épine, son premier long-métrage, Prudence (un prénom en forme de prétérition) se rendait la nuit sur le circuit sauvage de Rungis où des motards s’adonnaient à leur passion. Dans son nouveau film, Grand Central, Gary (Tahar Rahim), non seulement est embauché parmi les équipes intérimaires de réparation d’une centrale nucléaire – les missions les plus exposées aux radiations –, mais il tombe amoureux de Karole (Léa Seydoux), la femme d’un de ses collègues plus aguerris. Karole et la centrale sont deux « zones limites » que la cinéaste filme de manière très contrastée. La centrale est un lieu exclusivement masculin, blanc, froid, chirurgical. Une architecture de cathédrale moderne, où chaque geste doit être millimétré pour éviter tout incident, synonyme de radiation.

Les rendez-vous clandestins de Karole et Gary, au contraire, se déroulent sous le soleil resplendissant de l’été, à l’abri des regards, dans de petites alcôves de végétation accueillante et ombragée. Alors que les séquences dans la centrale, avec un Olivier Gourmet magistral en directeur d’équipe, sont sous tension, chaque réparation délicate offrant un suspense digne d’un thriller, les rencontres amoureuses, où la sensualité de Léa Seydoux fait merveille, sont des havres de paix. Mais ceux-ci aussi ont leur précarité.

S’il n’est pas un film militant, Grand Central montre les conditions de travail dans les centrales nucléaires de telle façon que le spectateur ne peut qu’en être effrayé. D’autant que les intérimaires sont tentés, comme Gary, de dissimuler les vrais taux de radiation auxquels leur corps a été soumis pour éviter la mise à l’écart, et donc le chômage. Au début du film, quand Gary et Karole ne se connaissent pas encore, le premier, attablé avec tous ses nouveaux collègues, demande ce que cela fait de recevoir une dose. Alors Karole se lève, se dirige vers lui, l’embrasse avec volupté : « Tu vois, lui dit-elle, à l’instant, le rythme de ton cœur s’est accéléré, tes jambes se sont mises à trembler et ton regard s’est brouillé. C’est exactement ça, l’effet d’une dose. » C’était un peu mentir. Car, sur le moment, la radiation est absolument imperceptible. En revanche, ce baiser, que Gary n’a pas reçu sans être déjà un peu « contaminé » par Karole, ne restera pas indolore. Chez Rebecca Zlotowski, l’amour aussi est radioactif.

Cinéma
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