Pas assez de concertation

À Paris, les élèves auront classe le mercredi matin et sortiront à 15 h le mardi et le vendredi. Début juillet, l’école Maurice-d’Ocagne, dans le XIV e, anticipait sur son nouvel emploi du temps.

Ingrid Merckx  • 29 août 2013 abonné·es

Inconvénient d’être en bordure de périphérique : le bourdonnement du trafic pénètre partout. Avantage : à Maurice-d’Ocagne, dans le XIVe arrondissement à Paris, la place ne manque pas. Les écoles maternelle et élémentaire comptent plusieurs bâtiments dans un parc avec des pelouses et des arbres. Du luxe dans une ville où certaines écoles font la récré dans le square voisin faute de cour. Certains locaux sont vétustes, mais les équipes ne se marchent pas dessus. Contrairement à nombre d’écoles, le centre de loisirs possède ses propres locaux, toutefois exigus. Le temps périscolaire dégagé par la réforme des rythmes scolaires pourra donc, ici, faire l’économie d’une organisation autour du partage des salles de classe, un aspect problématique ailleurs. «   Nous avons une autre chance, reconnaît Françoise, la directrice de l’école élémentaire, qui compte 10 classes et près de 250 élèves. Il y a de bonnes relations de travail entre le personnel de l’Éducation nationale et celui du centre de loisirs. Les conditions sont réunies pour que la réforme se passe au mieux. Mais, malgré cela, nous voyons apparaître des difficultés. » Exemple : les cours de natation. Inscrits au programme, ils sont inclus dans le temps scolaire. L’école se trouve à 200 mètres de la piscine Didot, et le créneau dont elle hérite pour la rentrée 2013 est… le mercredi matin. Justement la matinée où les petits Parisiens retournent en classe. « Ils iront donc bien à l’école le mercredi, mais pour faire piscine, soupire Guillaume, enseignant, qui aurait préféré les y conduire un après-midi. Le seul gain de cette réforme, du point de vue pédagogique, c’est de pouvoir travailler sur des apprentissages fondamentaux le mercredi matin. Si la matinée que l’on gagne est pour aller nager, où est l’intérêt ? » Après les demandes répétées de la directrice, un autre créneau finira-t-il par être proposé ? La mairie de Paris table sur un taux de 90 % d’élèves participant aux activités éducatives le mardi et le vendredi à 15 h. « Nous aurons les encadrants prévus pour ce nombre dès la rentrée », assure Khaled, directeur du centre de loisirs. Pour le mercredi après-midi, il ne prévoit qu’une hausse de 5 % par rapport au nombre d’élèves qui restaient le mercredi entier avant la réforme. « Les activités supplémentaires ont été organisées par la mairie. Globalement, notre organisation ne change pas. Et celle des familles assez peu : la majorité viendront comme avant chercher leurs enfants à 16 h 30 ou les laisseront à l’étude jusqu’à 18 h. Ceux qui les gardaient à la maison le mercredi toute la journée les garderont l’après-midi. » L’avenir le dira.

Le but de la réforme est de raccourcir la journée d’école, celle-ci ne devant pas dépasser 5 heures et demie de classe. À Paris, les lundis et jeudis resteront pourtant à 6 heures. « Nous serons donc “hors décret” », souligne Guillaume. « La véritable inconnue, c’est la fatigue engendrée pour les élèves et les enseignants », glisse Marc, un autre enseignant. Difficile à anticiper. « Les élèves se retrouveront en collectivité 5 jours par semaine en effectifs pleins ou quasi, c’est une des raisons qui font que certains parents, qui tenaient au repos du mercredi, décident de mettre leurs enfants dans le privé », observe Anouk, enseignante. Pas une bonne nouvelle pour cette école qui voit diminuer ses effectifs à mesure que les classes avancent. La faute aux locaux pas très neufs et au périscolaire, qui ne serait pas bien vu. Pour la rentrée 2013, le flyer des nouvelles activités affiche pourtant pas moins de vingt ateliers : BD, chant, jardinage, découverte de l’opéra, design, rollers, cirque… Gratuits sur inscription. La qualité du périscolaire concentre néanmoins le gros des inquiétudes. Si la mairie assure que les recrutements se font, via Pôle emploi, sur la base de diplômes (CAP petite enfance, Bafa, diplôme d’éducateur, etc.), il se dit beaucoup que les animateurs dans la capitale sont précaires et sous-formés.

« Cette réforme accentuera les inégalités entre les établissements et entre les villes, lâche une enseignante qui rejoint la discussion. Ce sera “opéra” à Paris et “garderie” ailleurs. Mais, même à Paris, il est illusoire de penser que les élèves suivront tous ce type d’activités. S’il faut se rendre dans un centre culturel ou sportif, en une heure et demie, ils auront juste le temps de faire l’aller-retour. » Exit aussi les sorties à la journée le mercredi. Dans cette école, les équipes auraient préféré faire classe le samedi matin. « C’est plus reposant pour les enfants de faire une pause en milieu de semaine, et ils sont plus concentrés le samedi. » D’autres choix étaient possibles, mais le débat de fond n’a pas eu lieu. En outre, la directrice voyait dans la réforme une possibilité de développer l’activité « bilinguisme », déjà mise en place pour les parents sous forme d’ateliers en langue maternelle : soninké, bambara et arabe. Mais, curieusement, la Ville ne l’aurait pas retenue. Autre problème : le périscolaire risque de concurrencer les Ateliers bleus déjà proposés aux élèves. C’est le cas pour « rollers ». Il y aura donc deux activités rollers : une gratuite et une payante ! « Il n’y a pas eu de concertation, regrette Marc. Nous sommes dans un quartier “politique de la Ville”, donc très populaire, avec des niveaux de priorités qui n’ont pas été pris en compte. Les vrais problèmes ont été laissés de côté, d’où les mouvements de protestation. »

En outre, les enseignants de Maurice-d’Ocagne habitent pour la plupart dans des villes de proche banlieue qui ne passeront à la semaine de 4 jours et demi qu’en 2014. Ceux qui restaient avec leurs enfants le mercredi devront trouver un mode de garde. Surcoût engendré pour Gaëlle, mère de trois enfants dont des jumeaux ? Près de 250 euros par mois. Cette enseignante gagne 1 700 euros mensuels. Les pouvoirs publics parient sur une année test devant engendrer une réorganisation globale : parents, professionnels de l’Éducation nationale, des centres de loisirs et de la petite enfance, conservatoires, associations et centres sportifs, culturels et artistiques, personnels d’entretien, etc. Tout un rythme social branché sur l’école. À Maurice-d’Ocagne, ce chambardement débutera par un forum des associations dès la rentrée, afin que chaque élève puisse choisir ses ateliers. Les enseignants annoncent qu’ils resteront vigilants.

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Rythmes scolaires : Le grand bricolage
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