Pascal Lamy dépose son bilan

Après huit ans à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le socialiste Pascal Lamy passe la main. Romain Benicchio (Oxfam) et José Bové (EELV) jugent son double mandat.

Lena Bjurström  • 31 août 2013
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Pascal Lamy dépose son bilan
© Photos: Fabrice Coffrini / AFP

Fin de mandat pour Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Après huit années à la tête de l’institution internationale, il laisse la place à son successeur, le brésilien Roberto Azevedo. Pour Romain Benicchio, responsable de la communication de l’ONG Oxfam, le bilan n’est pas très positif, aucun résultat vraiment significatif n’étant à signaler en matière de développement. Il est même négatif, selon José Bové, qui regrette l’obsession libérale du socialiste Pascal Lamy, qui aurait pu, pourtant, impulser un début de réforme de l’institution.

Ce n’est évidemment pas l’avis de l’Élysée, qui, dans un communiqué publié vendredi, a tenu à saluer tout le travail accompli par Pascal Lamy au cours de ces huit années : « Sous sa conduite, l’OMC, à travers son mécanisme de règlement des différends et sa mission de surveillance, a contribué pleinement à la lutte contre le protectionnisme, que la crise avait rendue d’autant plus indispensable. Tout au long de son mandat, Pascal Lamy a porté une attention particulière aux pays en développement pour en faire des acteurs à part entière du commerce mondial. »

Illustration - Pascal Lamy dépose son bilan

Aucun résultat concret

Cet éloge, qui a valu à l’intéressé d’être élevé le 31 mai au grade de Commandeur de la Légion d’honneur par François Hollande himself , est loin d’être partagé par Romain Benicchio, de l’ONG Oxfam. Il évoque le cycle de Doha, dont les négociations sont au point mort depuis 2008, et regrette l’absence de résultat significatif en matière de développement.
« Quand les discussions ont commencé, on s’attendait à un véritable rééquilibrage des règles commerciales en faveur des pays en développement , explique-t-il. Mais en 2013, on ne note aucun résultat concret. Il y a eu certes des accords à la marge, mais rien de substantiel. »
Un bilan pour lequel il ne blâme pas pour autant Pascal Lamy, empêché selon lui par les limites de son mandat : « Il a été très actif. Mais il faut toujours garder en tête que l’OMC est une organisation dirigée par ses membres. Le pouvoir de décision et même le pouvoir de proposition du directeur général est très limité. Pascal Lamy a ainsi été prisonnier de l’incapacité des pays développés à avoir une approche novatrice des négociations et de la dynamique de méfiance entre pays développés et pays émergents. »
Seul progrès à mettre à son crédit, une meilleure transparence de l’institution.

Le directeur de l’OMC a fait fausse route

Pour José Bové, la volonté de Pascal Lamy de libéraliser les marchés, dont le félicite l’Élysée, a eu notamment pour conséquence de freiner toute réforme de l’institution :
« Le lancement du cycle de Doha et l’accord de 2001 n’ont débouché sur rien. La volonté de Pascal Lamy, son obsession de vouloir faire aboutir à tout prix les accords à l’OMC s’est fracassée sur le refus des pays du Sud, notamment sur la question agricole. Et les entreprises, ayant horreur que les choses n’avancent pas à leur vitesse, ont fait pression sur les pays pour que les choses passent par un autre côté, en l’occurrence des accords de libre-échange régionaux ou bilatéraux. »
En s’obstinant dans la voie du cycle de Doha, tentant de mener à terme des négociations de libéralisation bloquées, le directeur de l’OMC a fait fausse route, selon José Bové, qui aurait espéré une véritable réforme de l’institution.
« Un outil de régulation du commerce international, une institution multilatérale, basée sur d’autres fondamentaux que ceux de la libre concurrence, intégrant les droits humains, de l’environnement, du travail, d’autres règles que celles du commerce, serait un outil positif. Malheureusement la structure, telle qu’elle s’est développée dès sa naissance en 1995, n’avait pour but que d’étendre les marchés et faire ainsi le jeu des multinationales. »
Plutôt que de poursuivre sur la voie du cycle de Doha, Pascal Lamy aurait dû, à son sens, ouvrir de nouvelles négociations sur le cœur de l’OMC, sur ses accords initiaux, et inciter à réformer son fonctionnement, notamment les règles de l’organe de règlement des différends.
« Avoir un outil de régulation internationale, grâce auquel de petits pays pourraient attaquer les États les plus puissants, disposant de mesures de rétorsion vraiment efficaces, tout cela était un objectif qui pouvait être mis en œuvre. »
Si l’organe de règlement des différends, tribunal disposant d’une capacité de sanction, est un outil intéressant, un certain nombre de problèmes limitent sa portée.
« Outre le problème d’accès pour les pays les plus faibles et l’impossibilité pour des tiers, comme des acteurs de la société civile, d’être partie prenante d’un différend, le type de sanction imposé n’est absolument pas équitable entre les pays. Instaurer une pénalité basée sur le pourcentage, même infime, du PIB du pays perdant permettrait de rééquilibrer les échanges internationaux et, ainsi, l’organe de règlement des différends deviendrait un véritable outil s’imposant aux Etats, qui, en conséquence, pousseraient les entreprises à des modes de fonctionnement différents. »

«Rien n’a été fait»

Si Romain Benicchio soutient également le besoin de réforme de l’organe de règlement des différends, fondé jusqu’à présent sur des textes « biaisés en faveur des pays développés » , le responsable de la communication d’Oxfam souligne pour sa part l’impossibilité de lancer une réforme en même temps que des négociations : « L’idée qui prévaut au sein de l’OMC est qu’il faut conclure le cycle de Doha avant de s’attaquer au fonctionnement de l’institution. Et à l’heure actuelle, il existe un tel climat de méfiance entre les États membres qu’il semble délicat, si la question était mise sur la table, d’arriver à quelque chose de cohérent qui serve les pays les plus vulnérables. »

Mais pour José Bové, s’il est vrai qu’en échouant à relancer le cycle de Doha, Pascal Lamy s’est fermé la possibilité d’ouvrir de nouvelles négociations, rien ne l’empêchait de lancer des pistes de réflexion dans le cadre du conseil de l’OMC, ou de mettre sur la table des problèmes comme le land grabbing (soit l’acquisition par des États ou des entreprises de terres agricoles de pays non-développés, pour les exploiter) qui est une distorsion du marché. « À ma connaissance, rien n’a été fait » , conclut-il.

Politique
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