Et les droits de la défense ?

Le 17 septembre, des organisations opposées à l’ouverture de deux salles d’audience dans la zone aéroportuaire de Roissy organisaient une visite.

Ingrid Merckx  • 26 septembre 2013 abonné·es

Le Mesnil-Amelot (77). Lorsque le car affrété par les organisations de défense des droits et des migrants [^2] dépasse l’arrêt des bus 701 et 702, Clémence Richard, de la Cimade, prévient : « D’ici, il faut encore marcher dix minutes vers la sortie du village pour arriver au centre de rétention. » À proximité de l’abribus, aucun panneau d’indication. « Même les GPS se perdent », souffle quelqu’un dans le car. Quand le bâtiment apparaît sur la gauche, appareils photos et caméras se collent aux vitres. C’est le plus grand centre de rétention administrative (CRA) de France, avec ses 240 places. Il est long, plat, angulaire et entouré de grillages. Dans le fond, des avions survolent une campagne sans âme. C’est le bout des pistes de Roissy.

Laurent El Ghozi , président de la Fnasat et cofondateur de Romeurope.

« Habiter à coté d’un bidonville, cela peut être insupportable, quelles que soient ses opinions politiques. C’est avoir sous les yeux une misère intolérable et des comportements liés à cette misère. […] Le droit commun doit s’appliquer à tout le monde, il n’y a aucune raison de créer des droits spécifiques ni des discriminations particulières. […] Les propos anti-Roms sont relayés sans limites ! Plus on déplace de terrains et plus on multiplie les exaspérations et les risques de délinquance ou de mendicité. C’est la politique menée et son échec manifeste qui favorisent le développement de propos extrêmes.

Il n’y a pas non plus d’affichage politique du gouvernement pour dire : les Roms sont des ressortissants européens, la France doit les accueillir. Quel message livre le ministre de l’Intérieur quand il dit : “Ils n’ont pas vocation à rester en France”, alors que nombre d’entre eux sont chez nous depuis des années ? »

À quelques dizaines de mètres sur la droite se trouve un cantonnement de CRS. Même architecture, en orangé. Un peu plus loin se tient une troisième bâtisse, qui abritera la prochaine annexe du tribunal de grande instance (TGI) de Meaux, but du voyage. Il faut une heure et demie pour venir de Paris en transports en commun, descendre à la station de RER Aéroport CDG, puis prendre le bus (un par heure). Coût : 20 euros environ. Visiter cette annexe puis celle du TGI de Bobigny dans la zone d’attente de l’aéroport (Zapi), à quelques kilomètres, aurait pris la journée. « On a préféré vous économiser le trajet… », glisse Stéphane Maugendre, du Gisti. C’est pourtant ce trajet que vont devoir faire les familles des personnes jugées. La difficulté d’accès de ces deux nouvelles salles d’audience délocalisées, dont l’ouverture est prévue le 30 septembre et en décembre, est le premier grief des organisations opposées au projet : l’éloignement entrave la publicité des débats. Ce faisant, il manifeste une volonté de juger les étrangers à l’écart, près des avions qui repartent. « Le motif officiel, c’est d’éviter le transfèrement des personnes au tribunal, rappelle Françoise Martres, du Syndicat de la magistrature. Et, par conséquent, d’économiser des personnels et des véhicules. La vérité, c’est que c’est plus facile pour la police aux frontières (PAF) de garder les étrangers sur place et de faire se déplacer les juges, les greffiers, les interprètes, les avocats… » À l’intérieur du tribunal tout neuf, un petit couloir dessert deux salles d’audience. Tous les strapontins n’ont pas encore été vissés. Il n’y en a pas plus d’une quinzaine par salle. Une des fenêtres donne sur le bâtiment des CRS. « Que devient l’indépendance du juge dans cet environnement policier ? », reprend Clémence Richard. « Non à la justice rendue derrière des barbelés », martèlent des avocats des barreaux de Bobigny et de Paris et des membres de l’Observatoire citoyen de la rétention 77. Les premiers, en robe, s’inquiètent : combien vont pouvoir se déplacer jusqu’aux annexes ? « Pas moi, soupire une jeune avocate, je n’ai pas de voiture… » Beaucoup de jeunes et beaucoup de femmes dans ce rassemblement.

Tout le monde se retrouve devant l’annexe du TGI de Bobigny au cœur du Roissypole. Et rebelote. Là, la salle d’audience a été construite contre la Zapi. En haut, les chambres, en bas, le tribunal. Les avocats s’étranglent. « Où allons nous recevoir les familles ?, lance l’une. Sur ce banc dans ce couloir ? Comment contacter les interprètes ou réclamer un arbitrage ? C’est beau, c’est neuf, c’est technologique, mais que deviennent les droits de la défense ? » Dans le car qui revient à Paris, Stéphane Maugendre rappelle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’est prononcée contre ces annexes. Le Conseil national des barreaux aussi. Les déclarations d’élus se multiplient : Hélène Flautre (députée européenne EELV), Michel Billout (sénateur PC), Sergio Cornonado (député EELV) et Hélène Lipietz (sénatrice EELV). Cette dernière, qui est du voyage, clame : « Ces salles sont un héritage des lois scélérates de Nicolas Sarkozy. Pourquoi ce traitement à part ? Nous sommes toujours l’étranger de l’autre… »

[^2]: L’Anafé, l’ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers), le Gisti, la Cimade, la Ligue des droits de l’homme, le réseau RESF, le Syndicat de la magistrature (SM), le Syndicat des avocats de France (SAV) et l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma)

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