Indigeste, cet apéro…

La bataille de la tranche « access prime time », de 18 h à 20 h, a commencé.
De Morandini à De Caunes en passant par Ferrari, rien qui hausse le niveau.

Jean-Claude Renard  • 5 septembre 2013 abonné·es

C’est promis, juré, prononcé comme une Annonciation. Interviewé la semaine précédant sa rentrée, sur sa propre station, Europe 1 (où il anime « Le Grand direct des médias », de 9 h à 10 h 30), Jean-Marc Morandini dessinait le nouveau visage de son émission quotidienne sur NRJ 12, « #Morandini, télé, people, buzz », de 18 h 55 à 20 h. Annonce pour le moins prometteuse, voire bouleversante : « On va voir un vrai journal de la télé. J’ai envie de retourner vers l’info, le décryptage. C’est une vraie émission d’information. On est malgré tout sur de l’info et du fond. J’avais envie de faire quelque chose qui me ressemblait un peu plus… » Rien que ça. À l’écran, voilà ce que ça donne : Miss Roussillon destituée pour avoir publié des photos aguichantes ; à quoi ressemblaient les vacances de Rihanna et de Laeticia Hallyday ? ; un micro-trottoir consacré à Zahia ; Catherine Zeta-Jones va-t-elle ruiner Michael Douglas ? ; les déboires de la série multirediffusée « Les Experts ». En effet, une véritable « émission d’information », entre voyeurisme et caniveau, paresseusement copiée-collée de l’émission de radio de l’animateur, ponctuée d’éclats de rire forcés. Le « #Morandini, télé, people, buzz » est l’une des émissions de rentrée occupant la case stratégique du 18/20 heures, dite « access prime time ». Stratégique parce qu’elle représente en moyenne 40 % des recettes publicitaires de la journée. Et doit entraîner le téléspectateur vers la première partie de soirée. D’où le choix d’émissions racoleuses, « rythmées » et « dynamiques ». Il s’agit de retenir le client à l’heure de la sortie d’école et du bureau.

Émaillé de publicités sur i-Télé, le nouveau rendez-vous politique « Tirs croisés », de 18 h à 19 h 30 (du lundi au jeudi), animé par Laurence Ferrari, est d’un autre genre. L’ex-présentatrice de TF1, passée à D8 pour un talk-show poussif (« Le Grand 8 ») en milieu de journée, a repris ses habits de journaliste pour la chaîne d’info continue, appartenant au même groupe Canal (tout en conservant son talk-show), avec ses pareils mouvements de chevelure, le même opinement du chef. À la gâchette : Audrey Pulvar (déjà présente dans « Le Grand 8 ») et Jean-Claude Dassier (ex-patron de LCI, ex-patron de l’info sur TF1 [et donc de Ferrari] et ex-patron de l’OM). En réalité, personne ne tire sur personne, pour un genre rompu. Dassier joue le rôle du dur, avec l’amabilité d’une porte de prison devant l’invité, qu’il s’agisse de François Bayrou ou d’Anne Hidalgo ; Pulvar, qui a rechaussé aussi pour l’occasion ses (très) chères lunettes de journaliste, tente de réveiller ses instincts de pugnacité. À vrai dire, quelque chose ne fonctionne pas. Qui a trait à la crédibilité. « Le Grand 8 » est passé par là, avec ses vacuités.

Plus attendu, plus médiatisé, est le retour d’Antoine de Caunes au « Grand Journal » de Canal +. Michel Denisot est parti se consacrer au mensuel Vanity Fair, dont il est directeur de la publication. Au demeurant très collectif, le « Grand Journal » entrecoupe son programme par des pubs luxueuses pour Vanity Fair, « brillant dehors, mordant dedans » (quand on ouvre le mensuel, on ne s’en aperçoit guère). Ce « Grand Journal » nouvelle version annonçait du changement, il y en a peu, dans un mélange des genres pêle-mêlant info et divertissement. De Caunes se fait plus pêchu que son prédécesseur, assurément, Aphatie se veut toujours donneur de leçons. La bonne surprise est la présence d’Hélène Jouan (placardisée aux magazines d’info sur France Inter), aux remarques souvent pertinentes. Comme le 26 août, jour de première, face à Manuel Valls, pointant « la mise en scène » de ses actions, son « omniprésence médiatique » et « sa filiation » avec Sarkozy. Voilà qui tranche avec l’ineptie des interventions polies de Jeannette Bougrab, ex-secrétaire d’État à la Jeunesse sous Sarkozy, autre nouvelle tête de l’émission. Et la concurrence va s’accélérer : Anne-Sophie Lapix, avec « C’est à vous », sur France 5, Cyril Hanouna et ses pitreries, sur D8, avant l’arrivée le 16 septembre, sur France 2, de Sophia Aram. Avec pour impératif la rigolade à l’heure de l’apéro, on voit mal comment l’access prime time va hausser le niveau.

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