Jacques Sapir : Les bienfaits d’une dissolution

Pour l’économiste Jacques Sapir, la sortie de l’euro ramènerait la croissance dans les pays d’Europe du Sud.

Jacques Sapir  • 19 septembre 2013 abonné·es

Si l’économie européenne va de langueur en récession depuis 2000, c’est bien à cause de l’euro. Le fait que l’Allemagne ait tiré son épingle du jeu confirme cela, tant en raison des avantages comparatifs spécifiques de ce pays que de la politique qui y a été menée depuis 2002 (les réformes Harz-IV). L’euro est au cœur du problème de l’Europe. Il condamne la majorité des pays l’ayant adopté à la récession ou à la crise, comme en Europe du Sud. L’Allemagne a « exporté » vers ces autres pays 4 à 5 millions de chômeurs. Une dissolution de la zone euro ne serait pas une catastrophe, mais au contraire une solution salvatrice pour l’Europe du Sud et la France. C’est ce que montre l’étude « Les scenarii de dissolution de l’euro », publiée au début du mois de septembre [^2]. On peut y lire, suivant les hypothèses étudiées, non seulement l’effet bénéfique des dévaluations sur l’économie française, mais aussi sur celles des pays aujourd’hui ravagés par la crise, comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne. Bien entendu, suivant les hypothèses retenues, à la fois sur le caractère plus ou moins coopératif de cette dissolution mais aussi sur la politique économique suivie, les estimations de la croissance divergent. Au pire, il faut s’attendre à une croissance cumulée de 8 % la troisième année après la fin de l’euro, et au mieux à une croissance de 20 %.

Pour l’Europe du Sud, la croissance cumulée est en moyenne de 6 % pour l’Espagne, de 11 % pour le Portugal et de 15 % pour la Grèce, dans l’hypothèse la plus défavorable pour ces pays. Une première leçon s’impose alors : la dissolution de la zone euro ramènerait la croissance dans tous les pays d’Europe du Sud et provoquerait une baisse massive et rapide du chômage. Pour la France, on peut estimer la baisse du nombre de chômeurs de 1 million à 2,5 millions en trois ans. Par ailleurs, cela rétablirait l’équilibre des régimes de retraites et de protection sociale. Cette dissolution redonnerait à l’Europe du Sud sa vitalité économique mais serait aussi profitable à l’Allemagne, car une Europe du Sud en expansion continuerait de commercer avec son voisin du Nord après un réajustement des compétitivités [^3]. Les inconvénients seraient très limités. Compte tenu des taxes, l’impact d’une dévaluation de 25 % par rapport au dollar sur le prix des carburants ne provoquerait qu’une hausse de 6 % à 8 % du produit à la pompe. L’euro disparu, les dettes des différents États seraient relibellées en monnaie nationale. Une telle politique imposerait aussi des contrôles des capitaux dans chaque pays. Notons que c’est déjà le cas à Chypre ! Ces contrôles, outre qu’ils contribueraient à définanciariser ces économies, limiteraient considérablement la spéculation et permettraient aux banques centrales de viser des objectifs de parité. Une fois ces parités atteintes, un système de fluctuations coordonnées des monnaies, comme du temps de l’écu, pourrait être mis en place. Historiquement, ce qui a sonné le glas de ce système a été la spéculation monétaire. Celle-ci supprimée, ou fortement réduite, le système pourrait de nouveau fonctionner. On peut imaginer qu’il débouche sur une « monnaie commune » venant s’ajouter aux monnaies existantes, qui serait utilisée pour l’ensemble des transactions (biens et services mais aussi investissements) avec les autres pays. Les parités des monnaies participant à ce système face à la monnaie commune pourraient être révisées régulièrement. Cela donnerait à l’Europe à la fois la flexibilité interne dont elle a besoin et la stabilité vis-à-vis du reste du monde. Un « panier de monnaie » étant intrinsèquement plus stable qu’une monnaie seule, cette monnaie commune pourrait devenir à terme un puissant instrument de réserve, correspondant aux désirs exprimés par les pays émergents des Brics [^4].

La dissolution de l’euro, dans ces conditions, signerait non pas la fin de l’Europe comme on le prétend, mais bien au contraire son retour gagnant dans l’économie mondiale. Et qui plus est un retour qui profiterait massivement, tant par la croissance que par l’émergence à terme d’un instrument de réserve, aux pays en développement d’Asie et d’Afrique.

[^2]: « Les scenarii de la dissolution de l’euro », étude de la Fondation Res Publica, Jacques Sapir et Philippe Murer (avec la contribution de Cédric Durand), septembre 2013.

[^3]: « C’est la compétitivité-coût qui devient la variable essentielle », Patrick Artus, Flash-Économie, Natixis, note n° 596, 30 août 2013.

[^4]: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

Temps de lecture : 4 minutes