«Les Roms sont l’objet d’un rejet spécifique »

Alors que les déclarations anti-Roms se multiplient, Laurent El Ghozi, président de la Fnasat et cofondateur de Romeurope, dénonce un racisme spécifique. Selon lui, c’est la politique menée et son échec qui favorisent les propos extrêmes.

Ingrid Merckx  • 20 septembre 2013
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«Les Roms sont l’objet d’un rejet spécifique »

Président de la Fnasat (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage) et cofondateur du collectif Romeurope, Laurent El Ghozi revient sur le racisme anti-Roms en réaction au reportage de politis.fr à Décines le 3 septembre.

Depuis, les propos anti-Roms se sont multipliés. Jeudi 19 septembre, le maire de Wasquehal (Nord), Gérard Vignoble (UDI), a écrit au président de la République une lettre pour l’alerter sur le climat « épouvantable et dangereux » généré par la présence de quelque 3 200 Roms dans la métropole lilloise.

« Il pousse les citoyens à des positionnements radicaux et tout en opposition. Monsieur le Président, sachez entendre le désarroi de bien des Français » , écrit-il dans sa lettre. Et d’ajouter : les Roms « n’ont pas toujours les comportements adaptés à nos modes de vie et habitudes, semant la crainte et l’exaspération » .

Voici donc la réaction de Laurent El Ghozi de la Fnasat :

Illustration - «Les Roms sont l'objet d'un rejet spécifique »

### « On observe des réactions violentes, voire très violentes,** d’hostilité à l’égard de populations qui sont d’abord pauvres, migrantes, mais supposées nomades et supposées roms. Or, rien ne dit qu’elles le soient. Ce n’est écrit ni sur leur tête ni sur leurs papiers d’identité. On est donc bien dans de la représentation. Autant quand il n’y avait que des « zadistes » (militants contre la zone d’aménagement différée) à Décines, ils étaient plutôt bien tolérés, autant l’arrivée de quelques familles de Roms a entraîné des réactions extrêmement violentes.

C’est une hostilité qui se manifeste à l’égard des étrangers et des pauvres, mais aussi une hostilité très spécifique, ancestrale, qu’on retrouve partout : les Tsiganes, les Roms et les Gens du voyage forment la population la plus discriminée de toutes, dans tous les pays d’Europe et de tous temps, selon Thomas Hammarberg, haut commissaire aux Droits de l’homme. Pourquoi ? Alors qu’ils sont inoffensifs. S’ils volent un peu et ne se comportent pas toujours bien, ils ne sont pratiquement nulle part et jamais violents. Mais, étant supposés ne pas avoir d’attaches territoriales, ils sont considérés incontrôlables, donc dangereux.

Le rejet du nomade

Cela déclenche à la fois une forme de romantisme autour de la la liberté : « les fils du vent »… mais aussi de la peur qui ne s’applique pas simplement aux Roms ou aux Gens du voyage, d’ailleurs, mais à toutes les populations nomades, parce qu’elles n’ont pas d’ancrage. Il y a donc bien un rejet spécifique du « nomade », le reportage de Politis à Décines en témoigne.

Le nomadisme des Roms est pourtant une idée reçue : les Roms de Roumanie sont sédentaires depuis des générations. D’autant plus que, jusqu’en 1856, ils étaient esclaves, et donc attachés à la terre de leur seigneur. Ceaucescu a sédentarisé le peu qui restait. De même, sur les 400 000 Gens du voyage français, à peine 100 000 voyagent régulièrement. Pourtant, toute la législation française vise à contrôler ceux qui n’ont ni adresse ni propriété, alors traités comme suspects.

Le droit commun doit s’appliquer à tout le monde

Pour nous, à Romeurope, le droit commun doit s’appliquer à tout le monde, il n’y a aucune raison pour créer des droits spécifiques, ni des discriminations particulières. Qu’on facilite des modes de vie différents, itinérants ou alternatifs, c’est une richesse. D’ailleurs, dans la loi Alur présentée cette semaine à l’Assemblée, un certain nombre de dispositifs veulent faciliter des modes d’habiter différentes. Mais nulle besoin d’être gitan ou manouche pour vivre en caravane : ainsi, les terrains d’accueil pour gens du voyage qui sont des services publics, devraient ouverts à tous ceux qui souhaitent habiter en caravane. De même, les terrains de camping doivent être ouverts à tous ceux qui vivent en caravane, Tsiganes ou pas. C’est cela le droit commun : pas de politique spécifique mais pas de discrimination.

La misère est intolérable

Maintenant, habiter à coté de gens qui vivent en bidonville, cela peut être insupportable, quelles que soient ses opinions politiques. Avoir un bidonville à côté de chez soi, c’est avoir sous ses yeux une misère intolérable et des comportements liés à cette misère. Le Rom n’est pas spontanément voleur ou sale, mais vivre dans une économie de survie peut entraîner des comportements éventuellement délictueux. Par exemple, le simple fait de ne pas avoir d’eau invite à aller en prendre chez les voisins. Cela peut gêner ou choquer mais cela résulte de la manière dont on les oblige à vivre…

On multiplie les exaspérations

Les propos anti-Roms sont relayés sans limites, on les entend trop bien ! De plus, la politique qui est menée ne règle rien : évacuer un terrain, c’est multiplier les voisins potentiellement mécontents. Plus on déplace de terrains et plus on multiplie les exaspérations et les risques de délinquance ou de mendicité. C’est la politique menée et son échec manifeste qui favorise le développement de propos extrêmes. Il n’y a pas non plus d’affichage politique du gouvernement pour dire : les Roms sont des ressortissants européens, une partie n’est que de passage, les autres souhaitent s’installer, la France doit les accueillir comme elle l’a fait pour bien d’autres. Quel message livre le ministre de l’Intérieur quand il dit : « Ils n’ont pas vocation à rester en France ? », alors que nombre d’entre eux sont chez nous depuis des années.

Le droit de travailler signifie des ressources légales

Les effets de la levée de l’interdiction de travailler pour les ressortissants Roumains et Bulgares sont évidents dès que les préfets y mettent un peu de bonne volonté, avec quelques centaines de nouveaux contrats de travail signés tous les mois malgré le contexte de chômage. Le travail signifie des ressources légales, permet de se loger, de scolariser normalement ses enfants, de s’intégrer…Cela démontre que les Roms ont la volonté et la capacité de travailler dès qu’on leur en laisse la possibilité. Car tout vaut mieux que de faire la manche dans le RER… »*

A lire, le dossier de Politis : Quel avenir pour les Roms en France ?

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