Qui payera la « taxe carbone » ?

À droite comme à gauche, les détracteurs de la contribution climat énergie annoncée par le gouvernement affirment qu’elle pénalisera les familles les plus modestes. Selon plusieurs experts, c’est loin d’être inéluctable. Décryptage.

Patrick Piro  • 5 septembre 2013 abonné·es

L’annonce d’une « contribution climat énergie » a fait naître une polémique dans des esprits déjà échauffés à la perspective d’une année 2014 lourde en hausses de prélèvements (impôt sur le revenu, TVA, charges sociales). Les détracteurs de la mesure, à droite comme à gauche – y compris les socialistes Ségolène Royal et François Rebsamen –, l’ont rapidement rebaptisée « taxe carbone ». Jean-Luc Mélenchon estime de son côté que « l’on va pénaliser les plus précaires », dont les dépenses contraintes sont les plus élevées. « Il ne s’agit pas de créer une nouvelle taxe, mais de verdir celles qui existent déjà sur l’énergie », a rapidement précisé Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement. Il faudra attendre la présentation du projet de loi de finances 2014, fin septembre, pour en savoir plus. Néanmoins, il est probable que le gouvernement s’inspire de sa Commission pour la fiscalité écologique (CFE), qui travaille depuis janvier dernier. Mi-juin, faute de consensus, elle présentait deux esquisses pour une contribution climat énergie. La plus mesurée, portée par l’économiste Christian de Perthuis, semble avoir les faveurs du gouvernement. La seconde, plus ambitieuse, est estampillée Fondation Nicolas-Hulot (FNH). D’autres modèles sont sur la table, comme la proposition de loi déposée le 24 juillet par les députés EELV ou le projet du Réseau action climat (RAC). Mais les uns et les autres affirment qu’une « bonne » contribution climat énergie, loin d’augmenter la pression fiscale sur les plus démunis, est un outil de justice sociale. Examen.

S’agit-il d’une nouvelle taxe ?

Pas dans l’esprit de la CFE, qui a prévu d’asseoir la contribution sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, anciennement TIPP), en y insérant un prélèvement calculé par rapport au volume de CO2 émis (variable selon les énergies – pétrole, gaz ou charbon), dont la tonne serait taxée à 7 euros dès l’an prochain [^2]. L’option de Perthuis prévoit d’en neutraliser l’impact en 2014 en abaissant d’autres composantes de la TICPE, puis de faire grimper à 20 euros la taxe sur la tonne de CO2 d’ici à 2020. « Trop mou », plaide la FNH, qui vise 40 euros la tonne et pas de neutralisation en 2014. « À défaut, l’incitation à se détourner des énergies fossiles risque d’être peu efficace. » Pour EELV ou le RAC, en revanche, il s’agit bien de créer une nouvelle taxe ambitieuse englobant la TICPE et incluant la production nucléaire d’électricité. « Car il ne s’agit pas que la contribution climat énergie crée un effet d’aubaine pour le chauffage électrique, dont on sait qu’il nécessite en hiver de forts appels de courant chez nos voisins, à grand renfort de centrales à charbon ! », explique Lorelei Limousin, au RAC. EELV ajoute qu’un tel prélèvement contribuera à tenir la promesse de Hollande d’une réduction de 75 à 50 % de la part du nucléaire. Le RAC et EELV veulent également la disparition à terme des exemptions ou avantages en vigueur au sein de la TICPE (gaz, kérosène des vols intérieurs, professionnels de la route, diesel, etc.). Et le montant de la taxe sur la tonne de CO2 devra être cohérent avec les objectifs de stabilisation du climat, et non pas en référence au marché européen de quotas CO2, notoirement sous-évalué. Selon le RAC, la tonne devrait être taxée 40 euros dès 2014, pour approcher 60 euros en 2020. Les trois options écologistes veulent également effacer d’ici à 2020 l’avantage fiscal dont bénéficie le diesel (17 centimes par litre) par rapport à l’essence.

À quoi servirait la contribution ?

Pour le gouvernement, il s’agit prioritairement de financer le crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) à hauteur de 3 à 4 milliards d’euros à l’horizon 2016. Ce qui pourrait aspirer l’essentiel de la collecte. « Une telle affectation, en contribuant à la baisse des charges sur le travail, est la meilleure des options, justifie le consultant Jean-Marc Jancovici, du cabinet Carbone 4. Elle jouera le rôle d’une assurance emploi pour ceux qui sont économiquement les plus menacés par la hausse inéluctable du prix des énergies fossiles. » Ce choix fait clivage. Pour les trois autres modèles, la priorité doit être la redistribution aux foyers de l’essentiel des prélèvements subis (40 à 200 euros par an selon les options). Sous forme de compensations destinées à les amortir, pour les ménages modestes, et d’aides directes pour des équipements plus écologiques : isolation thermique des logements et abandon des véhicules les plus énergivores, y compris par l’acquisition de véhicules d’occasion peu émetteurs – une nouveauté, puisque ce type de prime est habituellement conçu pour aider les constructeurs automobiles. « Ces aides ne seraient pas accessibles aux ménages les plus riches, pour éviter tout effet d’aubaine, souligne Matthieu Orphelin, conseiller pour la transition énergétique à la FNH. La contribution doit être au service des personnes touchées par la précarité énergétique, pour les aider à sortir du piège des énergies fossiles. »

Quid des plus démunis ?

Comment s’assurer que les ménages les plus contraints ne soient pas lésés ? Emblème : la famille modeste vivant en lointaine périphérie urbaine ou en milieu rural, dépendante de la voiture pour le moindre déplacement. Ayrault a promis que cette contribution serait « juste ». Il est probable que le gouvernement opte pour un chèque de compensation, calculé en fonction du revenu des ménages. Avec ce qu’il restera une fois la dîme CICE versée ? La FNH veut imposer qu’au moins 30 % de la collecte retourne aux 30 % des foyers les plus modestes, dans l’objectif qu’ils ne soient jamais perdants.

Doit-on exempter les entreprises soumises au système ETS ?

C’est l’avis des deux options étudiées par la CFE, qui estiment que ces entreprises ne doivent pas « payer deux fois ». Ce n’est pas l’avis d’EELV et du RAC, qui jugent que l’ETS a échoué dans son objectif climatique, tant le prix du quota d’émission de CO2 est tombé à des niveaux dérisoires.

[^2]: Valeur proche de celle des quotas de carbone que peuvent s’échanger les industries européennes les plus énergivores, tenues de respecter des limites d’émission (ETS). 1 quota = 1 tonne de CO2, en droit d’émission.

Écologie
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