Combien d’autres Leonarda ?

Derrière cette affaire emblématique, RESF alerte sur nombre de situations dramatiques, notamment celle des jeunes majeurs.

Ingrid Merckx  • 24 octobre 2013 abonné·es

Pourquoi un cas suscite-t-il soudain la solidarité générale ? Le Réseau éducation sans frontières (RESF) l’ignore : tous les jours, depuis des années, il publie des alertes relatives aux arrestations et menaces d’expulsions d’enfants dont les parents sont en situation irrégulière. « Pour Leonarda, raconte Brigitte Wieser, membre du réseau, nous avions mis en ligne le témoignage d’enseignants de son collège, André-Malraux, à Levier, dans le Doubs, sur notre blog Mediapart. Mediapart l’a mis en une et l’histoire a flambé. » En quelques heures, l’histoire de l’adolescente est devenue « l’affaire Leonarda ». Cette élève de 3e, arrêtée le 9 octobre dans le bus qui l’emmenait en sortie scolaire pour être expulsée vers le Kosovo avec ses parents et ses cinq frères et sœurs, aurait-elle connu une telle notoriété si elle n’avait pas fait imploser le Parti socialiste, fût-ce pour quelques jours seulement ?

Celui-ci, resté timoré sur les propos anti-Roms du ministre de l’Intérieur, se déchire sur l’affaire Leonarda. Pourtant, tous les jours, ou presque, des enfants roms sont tirés de leur lit à l’aube pour être expulsés de leur campement, leurs affaires parfois brûlées sous leurs yeux. Contraints de changer d’abri, ils se retrouvent privés d’école. Les ruptures de scolarité font partie des dénonciations mises en exergue par les associations de défense des migrants, parce que traumatisantes et contre-productives. « Des enfants scolarisés, ce sont des familles intégrées », plaide RESF. Raison pour laquelle sont jugés trop restrictifs les critères de régularisation édictés dans la circulaire Valls de novembre 2012 : cinq ans de présence sur le territoire, sauf exception, et trois ans d’école pour au moins un des enfants, maternelle comprise. RESF demande notamment à ce que la durée de scolarisation soit réduite à deux ans. La famille de Leonarda était à deux mois de pouvoir justifier de cinq ans de présence. La gauche pire que la droite ? L’arrestation d’une élève dans un contexte scolaire peut le laisser penser. La circulaire Valls de novembre 2012 est « en deçà » de la circulaire Sarkozy du 30 octobre 2005, demandant aux préfets de suspendre l’expulsion des sans-papiers ayant un enfant scolarisé le temps de l’année scolaire. Elle n’était qu’inégalement appliquée, mais la symbolique est restée : l’école est devenue un lieu protégé. Les socialistes qui s’insurgent aujourd’hui brandissent le caractère sacré de l’école républicaine : pas touche aux élèves ! François Hollande, dans sa communication télévisée du 19 octobre, a donc été contraint d’annoncer qu’il fallait « sanctuariser l’école ». Mais la nouvelle circulaire sur « l’interdiction d’intervention des forces de l’ordre en milieu scolaire » ne protège pas les élèves d’une arrestation à la sortie. C’est pourquoi les lycéens mobilisés et les défenseurs des droits de l’homme réclament, au nom du droit à l’éducation, une loi protégeant les élèves, les étudiants et leurs familles. En effet, si c’est au titre de « l’unité familiale » que Leonarda a été expulsée, comment comprendre que François Hollande veuille briser cette même unité en lui offrant « à elle seule » de revenir en France poursuivre ses études ? Et ses quatre frères et sœurs scolarisés ?

La circulaire Valls de novembre 2012 a pourtant amélioré la situation des familles en situation irrégulière. « Il n’y a presque plus d’expulsions de familles d’enfants scolarisés et moins de parents en rétention. En outre, sauf à Paris, la situation est moins catastrophique dans bon nombre de préfectures », souligne Brigitte Wieser, qui ajoute : «   Dans l’affaire Leonarda, ce qui est choquant n’est pas tant qu’on l’ait arrêtée dans un car scolaire que le fait qu’on puisse encore expulser des enfants scolarisés. » La vraie inquiétude porte en réalité sur les jeunes majeurs. Ces élèves qui se retrouvent expulsables le jour de leurs 18 ans s’ils ne vivent pas avec l’un de leurs parents ou si ceux-ci ne répondent pas aux critères de régularisation. C’est le cas de Khatchik, 19 ans, scolarisé au lycée Camille-Jenatzy, à Paris, et expulsé le 13 octobre vers l’Arménie alors que ses parents sont en France. C’est aussi le cas de Steve, Nigérian de 20 ans, arrêté à Caen, le 12 septembre… Quelques milliers seraient concernés. « Moins de parents en rétention, cela ne signifie pas forcément moins d’expulsions, précise aussi Brigitte Wieser, selon qui les assignations à résidence pour les familles peuvent se traduire par un moindre respect de leurs droits. De plus, quand le Figaro a accusé Manuel Valls d’expulser moins que la droite, l’Intérieur a immédiatement démenti en annonçant qu’il y aurait autant d’expulsions qu’en 2012 ! » Soit environ 36 900. Mais ce sera probablement moins, du fait de la suppression des aides au retour (pour les Roumains et les Bulgares), qui « gonflaient les statistiques ». Et peut-être plus de régularisations que les 30 000 annoncées… grâce à la circulaire Valls.

Publié dans le dossier
La gauche immorale
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