François Lamy : « Le plafond de verre est social »

En pleines commémorations de la marche pour l’égalité, le ministre de la Ville souhaite promouvoir la « citoyenneté active » dans les quartiers. Il n’exclu pas le retour d’une police de proximité. Entretien.

Erwan Manac'h  • 23 octobre 2013 abonné·es

Il était au volant de la camionnette qui ouvrait l’arrivée à Paris de la Marche pour l’égalité, le 3 décembre 1983. Aujourd’hui aux manettes du ministère en charge de la Ville, François Lamy présentera le 29 novembre à l’Assemblée nationale, un projet de réforme de la politique de la Ville. L’expression politique des habitants des quartiers reste un « levier du changement » qu’il souhaite intégrer à sa réforme. 

Vous étiez personnellement impliqué dans la Marche pour l’égalité. De quelle manière ?

François Lamy > J’étais un des responsables du service d’ordre du PSU lorsque la marche est arrivée à Paris. Nous avons assuré la protection des marcheurs. Nous nous reconnaissions totalement dans leur message, au sortir d’une période où la droite ressassait la question du départ des immigrés vers leur pays d’origine.

Beaucoup estiment que la marche a échoué à s’inscrire dans le paysage politique. Est-ce votre opinion ?

La marche a eu de la force parce qu’elle était une initiative citoyenne. Mais elle manquait d’une déclinaison politique. La seconde marche, Convergence 1984, était beaucoup plus encadrée par les forces de gauche et d’extrême gauche, mais elle a effectivement eu moins d’ampleur. Les marcheurs ont été plongés dans un monde politique qu’ils ne connaissaient pas.

Lire > Quelles traces de la Marche ?

Mais le combat antiraciste a été porté avec force à ce moment-là. Trente ans après, nous mesurons les avancées pour les 3e et 4e générations d’enfants d’immigrés. Qui aurait imaginé l’arrivée d’une Najat Vallaud-Belkacem ou d’un Kader Arif, [ministre délégué aux Anciens combattants, NDLR] au gouvernement, d’un Razzy Hammadi ou d’un Pouria Amirshahi [députés socialistes] à l’Assemblée ? Il subsiste pourtant un « plafond de verre » pour une partie de la jeunesse dont les ascendants sont immigrés, mais il est davantage lié à la question sociale et aux quartiers dans lesquels ils vivent.

La marche pour l'égalité fait halte à Colombes le 2 décembre 1983, avant l'arrivée à Paris le lendemain. - Bendrihem/AFP

Vous annoncez la création de Conseils de citoyens dans les quartiers. Comment faire en sorte qu’ils ne soient pas réduits à débattre de « la couleur des abribus », comme beaucoup le critiquent aujourd’hui ?

Mon constat n’est pas si noir. Il existe localement des expériences de participation des habitants réellement intéressantes, mais elles restent de l’ordre de l’expérimentation. Nous voulons promouvoir et généraliser cette citoyenneté active.Nous imaginons une formule inspirée des « ateliers publics d’urbanisme ». Ils prévoient notamment une formation des citoyens sur les aspects techniques et financiers, parce qu’il ne s’agit pas seulement de choisir la couleur des murs. Nous devons aussi former les professionnels de la rénovation urbaine qui ont encore tendance à considérer qu’ils ont raison, sans prendre en compte l’avis des publics auxquels ils s’adressent. Nous connaissons la méthode pour y parvenir, pour peu qu’on s’en donne réellement les moyens.

Le rapport Mechmache-Bacqué sur la participation des habitants proposait la création d’une autorité indépendante pour financer la « démocratie d’interpellation citoyenne ». Pourquoi ne pas avoir retenu l’idée ?

Je mets en œuvre tout ce qui relève directement de mes compétences comme ministre en charge de la Ville. Cette proposition relève, elle, du Parlement, du Premier ministre ou du président de la République. Il faut attendre leur réponse.

Mais les deux tiers des propositions du rapport de Mohamed Mechmache et de Marie-Hélène Bacqué sont en construction et seront mises en œuvre. J’accompagne la création d’une fondation d’aide à l’innovation sociale et au développement économique dans les quartiers, mobilisant des fonds publics et privés. J’ai travaillé avec Vincent Peillon pour l’accueil des parents à l’école et avec Manuel Valls sur les rapports police-citoyens. Nous ferons des propositions d’ici à la fin de l’année. Le rapport Mechmache-Bacqué secoue le monde politique et propose des bons outils pour lutter contre l’abstentionniste et le rejet du politique. Mais c’est un changement radical de logiciel. Cela demande du temps.

Vous signez en ce moment onze conventions avec différents ministères et établissements publics. Comment faire en sorte qu’elles ne restent pas lettres mortes ?

Nous ferons chaque année le point, mesure par mesure, dans le cadre d’un conseil interministériel réduit avec les ministres concernés. L’enjeu est de mobiliser les politiques publiques de droit commun. Les crédits de la politique de la Ville ne s’y substituent pas, ils doivent servir de levier. Surtout que les politiques publiques se sont désengagées des quartiers ces dix dernières années. Notre objectif est donc de mobiliser nos efforts. C’est le cas avec les emplois d’avenir, dont 30 % devront être signés dans les zones urbaines sensibles, par exemple, ou avec les agents de Pôle emploi qui seront systématiquement présents dans chaque quartier prioritaire de la politique de la Ville.

Pour les emplois d’avenir, cette proportion n’est que de 16 % sur les 60 000 premiers contrats, selon les chiffres du ministère du Travail.

Oui, cela a mis du temps à démarrer, car il reste un écart entre le niveau de qualification des jeunes des quartiers et les emplois proposés. Une partie de cette jeunesse a décroché du système scolaire et n’est pas en capacité d’obtenir ces emplois. Nous déployons nos efforts pour repérer ces jeunes et attribuer les moyens humains aux missions locales qui les accompagnent.

Vous dites vouloir faire plus que la droite pour les quartiers, mais les crédits de la politique la Ville n’ont pas été augmentés ?

Ils n’ont pas bougé dans un contexte budgétaire contraint, après avoir chuté de plus de 35 % sous la précédente majorité. Cette sacralisation des crédits de la politique de la Ville constitue donc déjà est un effort important. De plus, nous mobilisons aussi sur ces territoires, les politiques de droit commun, dans l’éducation, la sécurité, la justice, etc. À l’arrivée, les investissements sont en augmentation.

Nous allons aussi rééquilibrer les crédits vers les départements les plus prioritaires, tout en concentrant sur certains quartiers ces crédits. La carte de ces quartiers prioritaires sera connue avant le vote de la réforme, qui sera présentée au Parlement fin novembre .

Le Nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), qui remplacera à compter de 2014 le plan de rénovation urbaine, doit permettre de mobiliser 20 milliards d’euros, dont 5 milliards de l’État. C’est deux fois moins que le précédent volet qui comptait 44 milliards d’euros. Est-ce un manque d’ambition ?

Il y a d’abord moins de quartiers à rénover. De nombreux quartiers importants de France ont été rénovés. Il s’agit de terminer les opérations en cours et de traiter ceux qui ne l’ont pas été. L’objectif est de boucler la restructuration urbaine avec ce nouveau plan.

Le bilan des zones de sécurité prioritaires (ZSP) est officiellement positif, les tensions restent pourtant fortes localement entre la police et les habitants. Comment travailler à restaurer ce lien ?

Dans le cadre des ZSP une cellule partenariale pour la cohésion sociale a été mise en place pour compléter la cellule police-justice. Nous allons aussi expérimenter la mise en place de comptes rendus systématiques de la police envers les citoyens dans les ZSP, sans doute sous la forme de réunions publiques. Cela devra permettre la mise en place d’un contact régulier permettant aux policiers d’expliquer leur travail.

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Beaucoup d’acteurs de terrain continuent de demander le retour d’une police de proximité. Ce n’était pas une volonté du gouvernement ?

Ce n’est pas exclu que l’on retrouve dans certains quartiers des policiers qui soient davantage au contact des citoyens. Mais cela tient de la responsabilité du ministre de l’Intérieur et ça prendra du temps. Plus de 10 000 postes ont été supprimés dans la police par l’ancien gouvernement. Le gouvernement recrée des postes, mais il faut deux ans pour former un policier.